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quelques fchiftes argilleux de la nature de l’ardoife, & quelques roches
fchifteufes granitoïdes avec des noeuds de quartz ; la fituation de leurs
couches eft toujours la même, à cela près qu’elle approche plus de la
verticale. Là & plus haut, cette chaîne eft fréquemment interrompue
par des neiges ; les pointes de ces rochers fortent comme de petites
isles , ou comme des écueils, de la mer de neige qui couvre toutes
ces régions. Mes guides me firent perdre là un tems confidérable,
fous le prétexte de déjeûner & de fe repofer ; leur intention étoit
de retarder aiTez notre marche pour que l’on ne pût pas, avant la
nuit , s’aventurer dans la partie de la route où l’on ne rencontrerait
plus de rochers, & où l’on feroit obligé de coucher fur la neige.
Nous ne repartîmes qu’à onze heures, quoique nous fuffions arrivés
peu après neuf.
Je trouvai encore la difpenjîa helvética en fleur fur ces rochers.
Nous avions de là entrevu le lac au travers de la vallée d’Abon-
dance, depuis les premiers rochers ; mais en continuant de monter,
on le découvrait toujours mieux, nous reconnoiffions même très-bien
la ville de Nyon. Les montagnes du Faucigni s’abaifloient peu à-peu
devant nous. L ’aiguille percée du repofoir, §. 28s , fut celle qui nous
céfifta le plus long-tems, parce qu’elle étoit près de nous, 8c que là
cime fe projetait fur un horizon éloigné; car nous ne tenions pour
vaincues que celles par-deffus lefquelles nous pouvions voir le Jura.
Chaque victoire de ce genre était un fujet de joie pour toute la cara-
vanne; car rien n’anime & n’encourage, comme la vue diftinéte dt.
fes progrès.
Grande §. 1,978. Après une heure de marche , nous vînmes côtoyer une
tombe uw£ immenfe crevaife. Quoiqu’elle eût plus de cent pieds de largeur , or
pied de b«- n’en voyoit le fond nulle part.
Sonic tre.
P ans un moment où nous nous repofious tous debout fur fon bord.
R O C H E R S E T D Ê T À I L S , Oiap. 111. wjfr
admirant fa profondeur , & en obfervant les couches de fes neiges,
I mon domeftique, par je ne fais qu’elle diftraétion, laiffa échapper le
pied de mbn baromètre qu'il tenoit à la main ; ce pied glitfa avec la
rapidité d’une Heche fur la paroi inclinée de la crèvaife & alla fe planter
à une grande profondeur dans la paroi oppofée, où il demeura
fixé en ofcillant comme la lance d’Achille fur la rive du Scamandrc.
I J’eus un mouvement de chagrin très-vif, parce que ce pied férvoîfc
non feulement au baromètre, mais à une bouffole, à une lunette &
à divers autres inftruments qui fe fixoient au-deffus. Mais au moment
même quelques-uns de mes guides, fenfibles à ma peine, m’offrirent
i d’aller le reprendre ; 8c comme la crainte de les expofer m’cmpêchoit
J d’y confentir, ils me proteiterent qu’ils ne courraient aucun rifque.
■ Au moment même , l’un d’eux fe paffa une corde fous les bras, &
1 les autres le calerent ainfi jufques. au pied du baromètre, qu’il arracha
& rapporta en triomphe. J’eus une double inquiétude pendant cette
opération ; premièrement celle du danger du guide fufpendu ; enfuite
comme nous étions en vue & en face de Chamouni, d’où avec la
1 lunette on pouvoit faivre tous nos mouvements, je penfai que f i dans
ce moment on avoit les yeux fur nous, on croirait, à ne pas en douter,
que c’étoit un de nous qui étoit tombé dans la crevaffe & qu’on alloit
, le reprendre. J’ai fu depuis, qu’heureufement dans ce moment là on
ne nous regardoit pas. >
§• 1979- Nous fûmes obligés de traverfer cette même crevaffe fur
Un pont de neige rapide & dangereux ; après quoi, par une pente de
neige encore très-rapide, nous abordâmes à l’un des derniers rochers
de la chaîne ifolée, où je couchai le fur-lendemain en revenant de la
cime, & que par cette raifon, je nommai le rocher de l’heureux retour;
Son élévation eft de 1780 toifes.
Nous y arrivâmes à une heure 8c demie, & nous dînâmes an foleil
avec bien de l’appetit. Mais nous regrettions de n’avoir pas d’eau „
Tarn IF . X
Halte
pied d
rocher.