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LÀ , nous pafïàmes auprès de la place où nous avions, linon dormi,'
du moins repofé la nuit précédente ; & nous pouffâmes encore une
lieue plus loin jufqu’au rocher, §. 1979. auprès duquel nous nous
étions arrêtés en montant. Je me déterminai à y paffer la nuit ; je
fis tendre la tente contre l’extrémité méridionale de ce rocher, dans
une fituation vraiment finguliere. C’étoit fur la neige, fur le bord
d’une pente très - rapide, qui defcend dans la valléi de neige que
domine le Dôme du Goûté, avec fa couronne de féracs, & qui eil
terminée au Midi par la cime du Mont-Blanc. Au bas de cette pente
régnoit une large & profonde crevaffe, qui nous féparoit de cette
vallée, & où s’engloutiffoit tout ce qu’on laiffoit tomber des environs
de notre tente.
Nous avions choifi ce polie pour éviter le danger des avalanches ;
& pour que les guides, trouvant des abris dans les fentes de ce rocher,
nous ne fulfions pas entaffés dans la tente, comme nous l’avions été
la nuit précédente,.
Je m’occupai dans la foirée à obferver le baromètre, dont la hauteur
donna à ce rocher une élévation de 1780 toifes. J’y cherchai des
plantes , & je trouvai la touffe de carnillet-moufficr, dont j’ai parlé
dans le Chapitre précédent. Je m’amufai enfuite à contempler l'amas
de nuages qui flottoient fous nos pieds, au-deifus des vallées & des
montagnes moins élevées que nous. Ces nuages, au lieu de préfenter
des plaques ou des furfaces unies, comme on les voit de bas en haut,
offraient des formes extrêmement bizarres', des tôürs, des châteaux |
des géants, & paroiffoient foulevés par des vents verticaux, qui par-
toient de différents points des pays fitués au-deffous.
P ar-dessus tous ces nuages, je voyois l’horizon liféré d’un cordon
compofé de. deux bandes : l’inférieure d’un rouge noirâtre de fang
figé ; la fupérieure plus-claire, & d’où fembloit s’élever une flamme
d’un bel aurore, inégale, tranfparente, & diverfement nuancée. 3
'A C H A M O U N I , Chap. V i l .
Nous foupâmes enfuite gaiement & de très-bon appétit; après quoi
je paffai fur mon petit matelas une excellente nuit. Ce fut alors feulement
que je jouis du plaifir d’avoir accompli ce deffein formé depuis
vingt-fept ans; favoir, dans mon premier voyage à Chamouni, en
1760; projet que j’avois fi fouvent abandonné & repris, & qui faifoit
pour, ma famille un continuel fujet de fouci & d’inquiétude. Cela
étoit devenu pour moi une efpece de maladie : mes yeux ne rencontraient
pas le Mont-Blanc, que l’on yoit de tant d’endroits de
nos environs, fans que j’éprouvafiè une efpece de faifîffement douloureux.
Au moment où j’y arrivai, ma fatisfaélion ne fut pas com-
plette; elle le fut encore moins au moment de mon départ: je ne.
voyois alors que ce que je n’avois pas pu faire. Mais dans le filence
de la nuit, après m’être bien repofé de ma fatigue, lorfque je réca-
pitulois les obfervations que j’avois faites, lors fur-tout que je me
retraçois le magnifique tableau de montagnes que- j’emportois gravé
dans ma tête, & qu’enfin, je confervois l’efpérance bien fondée d’achever,
fur le Col-du-Géant, ce que je n’avois pas fait, & que vraifem-
blablenient -Pan ne fera jamais fur le Mont - Blanc, je goûtois une
fatisfaélion vraie & fans mélange^
§. 2024. Le 4 août, quatrième jour du voyage, nous ne partîmes
que vers les fix heures du matin. Nous vînmes dans une petite heure à la
cabane, §. 1976. Nous fûmes enfuite obligés de defeendre une pente
de neige inclinée de 46 degrés* & de traverfer une large crevaffe fur
un pont de neige fi mince, qu’il n’avoit au bord que trois pouces
d’épaiffeur ; un des guides qui s’écarta un peu du milieu où la neige
étoit plus épaiffe, enfonça une de fes jambes à faux. A une heure de
marche au-deffous de la cabane, nous rencontrâmes des crevaffes qui
s’étoient ouvertes fur notre route, & pour les éviter, il fallut defeendre
une pente de 50 degrés.
En entrant enfuite fur le glacier que nous devions traverfer, nous
îe trouvâmes changé dans ces 48 heures, au point de ne pouvoir pas
reconnoitre la route que nous avions fuivie en montant; les crevalE»