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, ce cirque n’eft pas formé par une feule rangée de montagnes, & qu’il
y en a au-dehors que l’on ne voit point du-dedans. Et c’eft ce que
l'on diftingue clairement du pofte que nous occupions. On voit de là
que le Mont-Rofe n’eft point une montagne ifolée , mais une maffe
centrale à laquelle viennent aboutir fept ou huit grandes chaînes de
montagnes qui s’élèvent à mefure qu’elles s’approchent de ce centre
& qui finilfent par fe confondre "avec lui en devenant des parties ou
des fleurons de fa couronne. Quelques-uns de ces fleurons extérieurs
paroiffent avoir été rompus ; ainfi la chaîne dont notre montagne,
Corne-Rouge, forme l’extrémité, fe termine abruptement avant d’atteindre
le Mont-Rofe , & laiffe dans l’intervalle les chalets de Betta &
le haut du Val-de-Lefa. Mais la chaîne parallèle à celle de Corne-
Rouge du côté de l’Eft , atteint fans interruption le corps de la montagne.
Deux autres chaînes que nous voyions à notre couchant l’atteignent
également.
T o u t e s ces montagnes font des roches feuilletées de divers genres ;
le théâtre immenfe de hautes fommités que j’avois fous mes yeux, ne
préfentoit à la portée d’une très-bonne vue, ni couches verticales ni
granits en maflfe. Prefque toutes les chaînes qui aboutiflent au Mont-
Rofe ont leurs couches relevées en pente douce de fon côté ; les plus
inclinées d’entre ces couches ne me parurent pas faire des angles de
plus de 30 ou 35 degrés avec l’horizon. C’eft par cette raifon , que
le Mont-Rofe, inacceflible par l’intérieur de fon cirque, feroità ce que
je crois, d’un accès facile par dehors. Nous voyions toutes fes pentes
couvertes d’immenfes plateaux de neige, dont la partie inférieure def-
cendoit jufqu’à des rochers d’un accès fûr & facile, & qui s’élevoient
de là en pentes médiocrement rapides jufqu’aux plus hautes fommités.
La difficulté ne pourroit venir que de l’état des neiges^, des creraffes
qui pourroient s’y rencontrer, & de la largeur du trajet qu’il faudroit
faire fur la" trompeufe furface de ces neiges.
De ces pentes neigées & fur-tout des intervalles de leurs croupes
L E R O T H . H O R fJ, chap. VI I . m
fortent de beaux & nombreux glaciers. Le plus remarquable eft celui
d’ou fort la riviere du Lys qui donne fon nom à la vallée. On voit trois
de ces glaciers fe réunir en un feul qui defcend enferpentantjufqu’au-
près des pâturages de la Trinité deGreflbney; & là le Lys en fort &
va au travers de ces pâturages arrofer le fond de la vallée.
§. 21 s6. E n t r e deux des croupes neigées qui couronnent cesglâ- Vai!e'e
ciers , on voit une gorge très-élevée & remplie de neige , du haut de ^'tendue
laquelle on découvre la vallée renfermée dans l’enceinte du «pnb
Rofe. Il y a dans le pays une ancienne tradition fur une vallée remplie
de beaux pâturages dont on dit que l’accès a été fermé par de nouveaux
glaciers. On ajoute que cette vallée fe nommoit Hohen-Laub & qu’elle
appartenoit au Vallais., Sept jeunes gens de Greffoney encouragés par
un vieux prêtre , entreprirent, f y a fix ans, la recherche de cette
ee » & dirigèrent leur courfe vers cette gorge dont la cime fe voit
de chez eux au Nord du village. Ils allèrent le premier jour coucher .
les rochers les plus élevés à l’entrée des neiges, & le fécond, après
fix heures de marche fur ces neiges , ils arrivèrent au bord de la gorge.
Là, ils virent fous leurs pieds, au Nord, une vallée entourée de glaciers
& d’affreux précipices, couverte en partie de débris de rochers,
& traverfée par un ruiffeau qui arrofoit de fuperhes prairies avec de?
bois vers le fond fur la droite, mais fans aucun veftige d’habitations
ni d’animaux domeftiques. Perfuadés que cette vallée étoit bien celle
que l’on regardoit comme perdue, ils revinrent très-glorieux de leur
découverte, ils en firent beaucoup de bruit, & on en écrivit même à la
cour de Turin. Pour conftater la réalité de leur découverte, & pour
en tirer quelqu’avantage réel, il falloit parvenir àdefcendre dans cette
vallée ; c’eft ce qu’ils tentèrent deux ans après leur premier voyage ;
ils retournèrent au bord du précipice, munis de crampons, de cordes
& d’échelles, mais ils'n’obtinrent aucun fuccès ; ils revinrent, en difant
que les efcarpements étaient d’une hauteur fi prodigieufe, qu’aucun»
échelle ne pouvoit aider à les franchir.