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tion , pour le plateau qui fert à tracer la méridienne : & nous commençâmes
même quelques obfervations. Nos guides qui prévoyoient
un changement de tems , s’appliquèrent fur-tout à affujettir folidement
nos tentes, opération difficile fur cette arrête ,- plus étroite que les
tentes mêmes, inégale & compofée de grandes maflfes incohérentes.
Orage
terrible.
§. io j i . Nous nous trouvâmes bienheureux d’avoir pris toutes ces
précautions ; car dès la nuit fuivante , celle du 4 au 5 juillet, nous
fûmes accueillis par le plus terrible orage dont j’aie jamais été témoin.
Il s’éleva à une heure après minuit, un vent du Sud-Oueft, d’une telle
violence que je croyois à chaque inftant qu’il alloit emporter la cabane
de pierre dans laquelle mon fils & moi nous étions couchés. Ce vent
•avoit ceci de fingulier, c’ëit qu’il étoit périodiquement interrompu par
des intervalles du calme le plus parfait. Dans ces intervalles nous entendions,
le vent fouffier au-deffous de nous dans le fond de l’Àllée-
Blanche, tandis que la tranquillité la plus abfolue régnoit autour de
de notre cabane. Mais ces calmes étoient fuivis de rafales d’une violence
inexprimable ; c’étoient des coups redoublés qui reffembloient à
des décharges d’artillerie : nous Tentions la montagne même s’ébranler
foûs nos matelas ; le vent fe faifoit jour par les joints des pierres de la
cabane ; il fouleva même une fois mes draps & mes couvertures & me
glaça de la tête aux pieds ; il fe calma un peu à l’aube du jou r ,
mais il fe releva bientôt & revint accompagné de neige , qui entroit
de toutes parts dans notre cabane. Nous nous réfugiâmes alors dans
une des tentes où l’on étoit mieux h l’abri. Nous y trouvâmes les guides
pbligés de foutenir continuellement l<ÿ mats, de peur que la violence
du vent ne les renverfât & ne les balayât avec la tente.
Ver3 les fept heures du matin, il fe joignit à l’orage de la grêle & des
tonnerrès quife fuccédoient fâns interruption ; l’un d’eux tomba fi près
de nous que nous entendîmes diftinctement une étincelle, qui en faifoit
partie,;;gliffer en pétillant fur la toile mouillée de la tente, précisément
derrière la place qu’occupoit mon fils. L’air étoit tellement
R E L A T I O N D U V O Y A G E , Chap. I. 223
rempli d’éleélricité, que dès que je laiffois fortir hors ‘de la tente
feulement la pointe du conducteur de mon éleélrometre, les boules
divergoient autant que les fils pouvoient le permettre ; & prefqu’à
chaque explofion du tonnerre, l’électricité devenoit depofitive négative
ou réciproquement.
P o u r qu’on fe fafTe une idée de l’intenfité du vent, je dirai que deux
fois nos guides, voulant aller chercher des vivres qui étoient dans l’autre
tente, choifirent pour cela un des intervalles où le vent paroiffoit
fe calmer; qu’à moitié chemin, quoiqu’il n’y eut que 16 à 17 pas de
diftance d’une tente; à l’autre, ils furent afïaillis par un coup de vent
tel, que pour n’être pas emportés dans le précipice, ils furent obligés
de fe cramponner à un rocher qui fe trouvoit heureufement à moitié chemin,
& qu’ils relièrent là deux ou trois minutes avec leurs habits, que
le vent retroufToit par-deffus leurs têtes, & le corps criblé des coups de
la grêle ,, avant que d’ofer fe remettre en marche.
§. 2032. V er s le midi le tems s’éclaircit & nous fûmes très-fatisfaits séjour
de voir qu’avec nos abris, tout chétifs qu’ils étoient, nous pouvions & occupa-
refifter aux éléments conjures ; & bien perfuadés qu’il étoit à-peu-près
impbffible d’efTuyer un plus mauvais tems, nous nous trouvâmes raffûtes
.contre la crainte des orages qu’on nous avoit peints comme très-
dangereux fur ces hauteurs. Nous continuâmes donc avec ardeur les
difpofitions nécelfaires pour nos obfervations.
E l l e s commencèrent dès le lendemain à former une fuite régulière &
non interrompue. Lorfque le tems n’étoit pas trop mauvais, mon fils
fe levoit a quatre heures du matin pour commencer fes obfervations
météorologiques ; je ne me levois qu’à fept heures ; mais en revanche
je veillois. jufqu’à minuit, tandis que mon fils fe couchoit vers les dix
heures Dans le jour nous avions chacun nos occupations marquées.
C e t t e vieaéfive faifoit pafTer, notre tems avec une extrême rapidité;
mais nous fonffrions beaucoup .du froid dans les mauvais tems & dans