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floconneufes, amoncelées fous nos pieds, ne nous en euffent pas
caché une grande partie. Cependant nous reconnûmes diftinctement
le Mont-Blanc avec fes deux cimes, telles qu’il les préfente, quand
on le voit de profil du côté du Nord-Eft.
En faifant cette montée au travers de ces vallons en pente douce
& fur ces plateaux couverts de neiges éternelles, nos guides regret-
toient, & avec raifon, les beaux pâturages qui s’y feroient formés
dans des régions plus tempérées. Ces neiges préfentoient de loin en
loin quelques larges crevalfes, mais faciles à éviter; il y en avoit
aulfi d’étroites que nous enjambions, mais fans aucun danger. Cependant
nos guides foupçonnoient en quelques endroits des vuides au-
deffous de nos'pas, mais recouverts de neiges fi épaiffes, que nous
n’avions point à craindre d’y enfoncer , & que jufqu’au pied des
rocs , on auroit pu faire cette coutfe à cheval. Mais au pied des
rocs, il y a plus de danger , foit parce que les neiges y font plus
minces, foit parce que la chaleur intérieure de la terre y a plus
d’aétion & en accéléré la fufion, foit enfin par les mouvements qui ont
fouvent lieu dans les rocs qui leur fervent de point d’appui.
Du haut de cette arrête, nous tournâmes d’abord a 1ER, puis au
Nord-Eft, pour atteindre la cime rembrunie & degagee de neiges
qui firifoit le but de notre courfe, & que nous avion» continuellement
fuirie des yeux,
T out près d’y arriver, nous héfitâmes fi nous ne dirigerions pas
notre attaque fur une cime blanche plus à l’Eft & plus élevée» & q,ui
à rigueur auroit été acceffible; mais nous en fûmes détournés premièrement,
je l’avoue, par la fatigue & les dangers que la roideur
de la pente nous auroit coûtés, & enfuite parce que, comme elle
étoit entièrement couverte de neiges, nous n’aurions point pu f
obièrver les rochers qui faifoierrt réellement lé principal' objet de ci
voyage. C’eft pourtant bien vraifemblablcment cette cimé blanche qui
porte fe nom- de Breit-Horn par excellence y car eo«une dis préfeutè
une
C I M E D V B R E I T .H O R N, Chap. VI.
une fommité large & arrondie à ceux qui viennent du côté de Zer-
Matt, le-nom de Breit-Horn ou Cime - Large, paroît fort bien lui
convenir. Pour diftinguer la nôtre, nous l’avons nommée la Cime-
Brune du Breit-Horn.
L ’arréte de neige que nous Buvions, nous conduifit, fans aucune
difficulté, jufquau pied de cette cime. Là, nous eûmes à gravir des
rocs dégagés de neiges & très - rapides ; mais leurs couches délitées
formoient des efpeces de marches qui en fàcilitoient l’accès. Nous y
arrivâmes vers les dix heures, & ainfi en deux heures & demie depuis
notre tente.
§ 2247. a/- D ès que nous fumes arrivés, je mis, fuivant mon ufage, B«rome.
mon baromètre en expérience, en le faifant tenir'à l’ombre pour quc^rc’ ^cr"
la température devint uniforme dans tout le tube, vu que l’inégale hauteur. *
aflion du foleil & de la chaleur du corps de l’homme qui le portoit,
y produifent néceifairement des dilations inégales.
La hauteur corrigée de ce baromètre, fe trouva à onze heures de
17 pouces g lignes {£§. Le baromètre de M. S e n e b i e r , au même moment,
étoit à 2 6 pouces » lignes Le thermomètre, à l’ombre, fur
la montagne 0,5, &àGeneve, + 19; ce qui, fuivant la formule
de Mi T r e m b l e y , donne 1816 toiles au-deffus du cabinet deM. S e n e -
b i e k , ou 2002 toifes au-deffus de la mer. Or, cette hauteur eft la
plus grande que les hommes aient atteinte, excepté aux Cordillères
& fur le Mont-Blanc.
Il n’y avoit qu’un degré de différence pour le thermomètre entre
le ioleil & l’ombre ; celui-ci étoit à — 0, 5, & celui-là + o, 5. A
Geneve, à la même heure, le thermomètre à l’ombre, étoit à 19,
& au foleii, à 20, 4. L’hygrometre, à l’ombre, étoit à 88 fur la montagne,
& à 76, î dans Ja plaine; ce qui, en ayant égard à la chaleur,
donne une iëchereffe beaucoup plus grande fur la montagne,
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