visir, le capitan-pacha, les pachas à trois queues, ont fait mourir
des citoyens sans jugement ; mais ces cas sont rares et ne sont pas
sans danger. L ’histoire de ce peuple présente une foule d’exemples
de sultans et de visirs tués ou déposés pour des injustices et des
vexations un peu trop révoltantes. Les plaintes du peuple ont souvent
forcé le sultan à sacrifier à sa propre sûreté un ministre, un
fa v o r i, dont les crimes quelquefois n’ont été qu’une aveugle soumission
aux volontés de leur maître.
• La présence du souverain, une plus grande masse de lumières,
une population immense, le partage du crédit, de la faveur, du
pouvoir, font que le despotisme, à Constantinople, n’est pas aussi
calamiteux, aussi terrible que dans les provinces , parce que le
sultan surveille-ses ministres, parce que le peuple se ligue et se révolte
avec succès contre ses oppresseurs, parce qu’il trouve presque
toujours un appui dans la jalousie, l ’ambition ou la probité de
quelque homme puissant. Mais un pacha dans sa province | loin
des regards du souverain, maître de toute la force armée, investi
de pouvoirs presque illimités, trouve rarement dans le tribunal de
justice, dans l’assemblée des notables et dans les entreprises du
peuple, une digue assez forte pour être renfermé dans les bornes
de ses devoirs.
• Trop souvent, le pacha, par son courage, son audace et .son
crédit, parvient à faire taire le juge et les hommes de bien , à paralyser
les bonnes intentions dù divan, et laire trembler le peuple
qu’il opprime : trop souvent aussi les obstacles que les lois opposent
sagement à son ambition, à sa perversité, restent sans effet par la
connivence du juge prévaricateur, du divan chargé de veiller aux
intérêts du peuple : alors les violences et les injustices n’ont plus
:de bornes, surtout si le pacha est puissamment soutenu près la
Porte, et s’il a à son service un grand nombre de délibaches toujours
prêts à exécuter ses ordres et à le défendre en cas d’attaque.
•Cependant lorsque les injustices excitent une indignation trop fortement
prononcée, le pacha tâche de l’appaiser en désavouant
l’officier, exécuteur de ses .ordres , en l ’éloignant et même en le
faisant mourir. Ce sont les Chrétiens qui ont toujours le plus à
souffrir, parce qu’ils ne sont pas soutenus comme les Musulmans,
et qu’ils font parvenir plus difficilement au pied du trône leurs
justes plaintes. Les Grecs , les Arméniens, les Juifs, forment
entr’eux des corporations dont les chefs font quelques efforts pour
faire cesser les vexations d’un gouverneur, pour le faire rappeler
ou punir ; mais trop souvent leurs réclamations restent sans effet,
ou n’aboutissent qu’à rendre leur sort encore pire.
L ’impunité des pachâs est telle depuis quelque tems, que la plupart
se sont permis de monter un état militaire puissant qui exige
des dépenses considérables, bien au dessus du produit légal de
leurs pachaliks. Les vexations ont augmenté en proportion des personnes
qu’ils avaient à entretenir; ils ont, àforce d’argent, obtenu
de la Porte la réunion de, tous les emplois de là province ; ils sont
mouhassils ou fermiers-généraux ; ils se sont fait confirmer chaque
année dans leurs places, et quelques-uns ont fini par acquérir des
richesses si considérables et une telle autorité, que le sultan ne
peut venir, à bout de les déplacer ou de les faire mourir. Mais, cet
état violent doit nécessairement avoir un terme : les habitans des
campagnes, excédés d’impôts, inquiétés dans leurs fortunes, menacés
dans leur v ie , abandonnent insensiblement les terres qui ne
peuvent plus les nourrir; ils vont dans les grandes villes chercher le
.repos qu’ils ont perdu dans leurs chaumières, et les. moyens de
.vivre qu’ils ne trouvent plus dans la culture de leurs terres. Cepen-
.dant le pacha exige les mêmes rétributions, et oblige ceux qui
.‘restent, de payer pour ceux qui se sont enfuis : d’où il suit que
.tous les habitans disparaissent bientôt, et que le village est à jamais
abandonné. Il n’est aucune partie dë l’Empire un peu éloignée de
la capitale, qui ne présente l’aspect de la dévastation la plus complète
, qui n’offre de grandes plaines sans cultures, des hameaux,
des villages détruits, sans habitans. «
Il n’est, pas surprenait que les gouverneurs de provinces ne négligent
aucun moyen, de pressurer le peuple, lorsqu’ils ont été
obligés d’acheter chèrement ce d ro it, lorsqu’ils savent qu’ils ne
peuvent se maintenir dans leur place ou en occuper d’autres sans
faire de nouveaux sacrifices pécuniaires, lorsqu’én un mot le