Constantinople intéresse sous tant de rapports, que je
n’ai pas cru devoir quitter cette capitale de l ’Empire
othoman sans esquisser rapidement les moeurs d’un peuple
singulier, qui paraît n’avoir été d’abord qu’une grande
société religieuse et militaire, sans faire connaître quelques
uns de ses usages , sans jeter un coup-d’oeil sur son
gouvernement, et sans faire remarquer que le despotisme,
si terrible envers' les sujets tributaires, conserve, à l ’égard
des T u r c s , des formes modérées dont il est dangereux de
s’écarter. Si le sultan et ses préposés sont investis d’un
grand pouvoir, le peuple est toujours prêt à se soulever
6’ils en abusent.
La Troade m’a rappelé la gloire d’Homère, et cette guerre
vraie où fabuleuse à laquelle tous les dieux de l’Olympe
prirent part. J’ai foulé avec respect les cendres des héros
grecs et troyens. J’ai cherché avec empressement la position
de cette ville fameuse qui soutint pendant dix ans
les efforts de tous les Grecs réunis. J’ai suivi avec plaisir
le cours du Simoïs et du Scamandre j mais j ’ai gémi de voir
si peu d’habitans , si peu de culture sur un sol qui pourrait
être couvert des plus riches moissons.
Les îles de l’Archipel m’ont paru sèches , arides , montagneuses,
quoique productives et situées sous un climat
heureux. Les Grecs qui les habitent, loin des tyrans qui
oppriment leur patrie , ont conservé leur gaieté, leur activité
et leur amour de l ’indépendance ; ceux de S c io , à
l’abri de leurs privilèges, se montrent les plus actifs , les
plus industrieux et les plus probes de tous.
L ’île de Crète, si misérable, si pauvre aujourd’h u i , intéresse
par ses productions , par sa position avantageuse, par
le souvenir de ses anciens habitans, et par les Sphachiotes
q u i , d u h a u t d e leu rs m o n ta g n e s , b ra v e n t l ’a rro g an ce des
T u r c s e t se jo u e n t de tous leurs e ffo rts .
L ’Égypte m’a donné l ’idée d’une extrême fécondité ,
moyennant un travail soutenu, une sage et intelligente
distribution des eaux du Nil. L ’É gyp te , située entre l ’Asie
et l’A fr iqu e , entre les mers d’Europe et celles des Indes ,
a paru devoir être le point central du commerce de toutes
les nations, à l ’un des plus grands-hommes de l’antiquité,
et à celui, parmi nous, qui se montre encore plus grand.
Le fleuve qui donne la vie à cette région brûlante, aussi
réglé dans ses crues, que le cours des astres et le mouvement
de l ’Univers, est bien fait pour étonner ceux -là
même qui savent observer la marche de la nature, et qui
sont familiarisés avec ses phénomènes.
A l ’exemple de tous les voyageurs, nous n ’avons pas
quitté l ’Egypte sans payer aux pyramides notre * tribut
d’admiration , sans descendre dans ces Vastes catacombes
que la main de l’homme n’a pas craint de profaner.
L a S y r ie , extrêmement variée dans ses productions,
dans son climat, dans son sol ; la S y rie , brûlante au rivage
de la mer, tempérée sur le penchant des montagnes , fraîche
à leur sommet, n’est plus au-delà de ces montagnes, qu’un
pays stérile, inhabité. Les ports de T y r et de Sidon doivent
rappeler l ’activité et l ’industrie des peuples qui en firent
l ’entrepôt d’un commerce étendu, et Alexandrète eût rempli
peut-être les vues du conquérant qui l ’a fondée, si
l ’air le plus mal-sain de la terre ne s’y fût constamment
opposé. Pourquoi faut-il que cette intéressante région soit
opprimée par les T u rc s , gouvernée en partie par l ’homme
le plus méchant de la Terre (1) , et qu’elle soit en outre
(1) Dgézar-Pafcha.