C H A P I T R E X I.
Entrée dans un harem. Mariage des Musulmans. Polygamie
; ses résultats. Influence des femmes dan§
toiites les affaires.
D e u x jours après notre retour des îles des Princes, nous fûmes
invités, de la"part d’un capidgi-baschi, de nous transporter, sur
le Bosphore, auprès de sa mère malade depuis quelque tems, pour
éclairer un médecin grec qui lui donnait ses soins , , et prescrire le
traitement que nous jugerions le plus convenable. L ’envoyé de la
République, chez qui nous étions dans ce moment, nous engagea
vivement à rendre service à un homme qui jouissait d’un grand
crédit auprès du grand-seigneur, et qui pouvait être utile aux
Français établis dans le Levant. Nous accédâmes d’autant plus
Volontiers aux instances de l’envo yé, qu’en obligeant un homme
puissant, nous étions dans le cas de satisfaire notre curiosité. En
e f fe t , depuis long-teiùs je désirais voir l ’intérieur d’un ménage
tu r c , et porter un oeil observateur jusque dans les harems;, poux
en connaître les dispositions et remarquer les usages qui yî sont
établis. La médecine m’a souvent fourni cette occasion dans le
cours de nos voyages, et m’a mis à portée de voir que,, malgré
les verroux et des gardiens, les femmes trouvent encore les moyens
de se venger d é la tyrannié des hommes. :
* i ■' f Le rendez-vous fut donné pour le lendemain matin. Nous 'partîmes
de bonne heure, accompagnés d’undrogman et d’un janissaire
de la légation, et nous arrivâmes chez le capidgi en même tems
que le médecin grec. Nous fumes reçus dans un beau kiosk, espèce
de salon ouvert par les côtés > orné ;de- peintures, de dorures et de
sentences arabes.tirées dûéorân. I l y. avait au milieu usa jet d’eaU
et un bassin de marbre blanc : on avait d’un côté la vue du Bosph
ore, et de l’autre celle,d’un beau,-jardin et d’une partie de la
maison du capidgi, bâtie avec beaucoup d’élégance.
Après les complimens d’usage, on apporta dès pipes et du café :
nous causâmes pendant quelque tems de la maladie de sa mère, et
nous apprîmes avec surprise que le médecin avait trouvé plus
facile de faire croire à cette malade qu’elle était ensorcelée, que
de la guérir. Le capidgi nous parla ensuite de lu i , et nous fit part
de ses maux particuliers : il se plaignait amèrement de ne pouvoir
p lu s , comme autrefois, porter dans son harem la joie et les
plaisirs, Cet homme, âgé de quarante et quelques années, était
d’ailleurs robuste et fortement constitué : il avait abusé de bonne
heure des plaisirs qu’il,regrettait, et il était obligé d’avoir recours
à un opiat composé des substances les plus chaudes et les plus
irritantes, pour remplir ses devoirs d’époux la nuit du jeudi au
vendredi, selon le précepte de Mahomet.
Après une heure d’entretien, nous fûmes chez la malade : aucun
domestique ne nous suivit. Le capidgi nous fit traverser divers
appartemens, dont il ouvrait et fermait lui-même les portes. Nous
arrivâmes dans une salle assez spacieuse, entourée sur trois faces
d’un sofa garni d’un beau drap cramoisi, terminé par une. frange
;en or. Le plancher était couvert d’une natte fine d’Égypte et de
quelques petits tapis de Perse. La malade était au milieu de la
chambre sur un léger matelas, entourée de grands coussins sur
lesquels elle s’appuyait. Elle était vêtue selon; la coutume des
Orientaux, qui ne se déshabillent point lorsqu’ils sont malades ou
lorsqu’ils se couchent pour dormir. Elle avait, lorsque nous entrâmes
chez e lle, sans doute à cause de nous , un voile blanc de
•mousseline, qu’elle ne tarda pas à quitter : deux jeunes esclaves
femelles étaient là pour la servir.
Cette femme, âgée de près de soixante ans, avait un embonpoint
■excessif ; elle était travaillée de vapeurs, et affectée d’un, vice dar-
-treux qui se manifestait sur diverses parties de son corps. Elle se
; portait d’ailleurs assez bien et avait conservé son appétit. Elle
nous fit des histoires fort singulières sur ses maux, qu’elle attribuait
.entr’autres à une méchante esclave qui l ’avait ensorcelée , parce
qu’on avait refusé de la marier.
Pendant cet entretien, la curiosité avait attiré les femmes, du