sans cesse de perdre leur vie ou leur fortune, faibles et sans appui,
ils ont appris, en venant au monde', à dissimuler , à céder au
moindre choc, à se soustraire à la force par l’adresse, à la violence
par la soumission. Ils ont dû. être faux par habitude, rampans
et vils par la crainte , rusés et fourbes par le besoin de vivre et
d’existèr.
Les Musulmans, fiers de leur supériorité, insolens envers des
esclaves désarmés, orgueilleux d’appartenir à une religion qui
inspire du mépris pour tous ceux qui n’y sont pas agrégés ; fanatiques
, féroces et injustes par l ’effet de cette religion ; tolérés dans
les vexations qu’ils exercent envers les sujets tributaires ; enhardis
même par un gouvernement qui redoute ceux qu’il opprime ; les
Musulmans auraient, comme leurs aïeux, un caractère de grandeur
, d’héroïsme et de brigandage s’ils avaient conservé leurs
moeurs, leur courage et tout leur fanatisme. Mais aujourd’hui la
vente de tous les emplois et leur amovibilité rend avides tous les
particuliers, et oppresseurs tous les dépositaires de l ’autorité. La
justice est vénale, parce que les cadis ont été rançonnés : la vénalité
des juges a fait naître les faux témoins ; le zèle religieux s’est ralenti,
le courage s’est usé , l ’immoralité s’est glissée partout : on peut
dire hardiment qu’elle est aujourd’hui parvenue à son comble dans
les villes.
La loi des confiscations a fait souvent regarder comme criminels
les hommes que leur naissance, le hasard ou leur industrie avaient
enrichis. Celle qui attribue au sultan les propriétés de ceux qui
reçoivent de lui une paye quelconque (1 ), a dû nécessairement,
comme l’autre, gêner les opérations de commerce inspirer des
craintes et contribuer le plus au taux excessif de l’argent.
Si nous en exceptons quelques contrées des deux Indes, dans
aucun pays de la Terre l’or n’est si commun qu’en Turquie ; il
circule partout ; il est la base de tous les paiemens, et chaque
(1) Tous ceux qui reçoivent une paye du sultan ou de l’État, depuis le simple’
janissaire jusqu’au visir Azem, sont nommés kouls ou serviteurs ; et comme tels 9 le
sultan peut disposer de leur vie et s’emparer _ s’il le veut, de tous leurs biens.
voyageur en a plus ou moins dans sa ceinture. Il n’y a pas une
femme qui n’ait des chaînes , des colliers et autres ornemens en
sequins ; pas un enfant qui n’ait sur sa tête quelques pièces de
monnaie : mais cet o r , ornement ou parure de la femme , est
enlevé pour toujours au commerce. Le mari, poursuivi par des
créanciers, n’oserait y toucher , et la femme voit traduire quelquefois
au supplice le père de ses enfans, sans être tentée de faire
le sacrifice de cet or qu’elle a arraché à sa faiblesse ou obtenu de
son amour pour elle.
L a Turquie cependant est tributaire de l ’Inde, comme nous le
Sommes de la Turquie. L ’or que les Européens portent en dernier
résultat à cet Empire pour la solde de ses marchandises, s’écoule en
grande partie par la Mer-Rouge, par le golfe Persique et par la Perse,
et va s’engloutir sur les côtes fertiles et industrieuses de l’Océan
indien. C’est ce que je développerai ailleurs avec plus de détails.
Les négocians français se sont plaints très-souvent de voir dans
toutes les opérations de commerce, les Juifs et les Arméniens interposés
entr’eux et les Musulmans ; mais ils n’ont pas fait attention
qu’instruits dans les usages et les langues du pays, ces Juifs et
ces Arméniens se chargeaient d’un détail auquel les négocians
européens n ’étaient pas propres. Iraient-ils, comme eu x , répandre
leur argent d’avance dans les campagnes pour acheter à bas prix
les denrées à la récolte? Voudraient-ils, comme e u x , retirer un
intérêt usuraire d,e leur argent ? Pourraient - ils le suivre de v u e ,
et feraient-ils les démarches et les sacrifices pécuniaires d’usage
envers les cadis et les pachas lorsqu’il s’agirait de recouvrer leurs
créances des débiteurs de mauvaise foi ? Non sans doute. Eh bien !
laissons à ces Juifs et à ces Arméniens tous les détails d’un trafic
qui ne peut être avantageux qu’à eux seuls , et bornons-nous à
troquer avec eux nos productions qu’ils savent mieux que nous
placer à propos, qu’ils vendent en détail à la ville, ou qu’ils livrent
aux habitans de la campagne à compte de leurs denrées.
Si nous jetions un coup-d’oeil sur Marseille et sur tous les ports
de nos dépàrtemens méridionaux ; si nous observions le nombre
prodigieux de manufactures que ce commerce alimentait dans tous