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de liberté dans l’intérieur du harem (1) ; elle approche en un mot
le sultan aussi souvent qu’elle le desire. Mais si son fils vient à
mourir , elle rentre parmi les kadeuns si elle n’est envoyée au
vieux sérail.
Les autres esclaves se nomment O daliks, du mot O d a , qui veut
dire chambre (2). Si une d’elles se trouve enceinte, elle est soignée
avec beaucoup d’attention ; les eunuques la servent avec le plus
grand respect lorsque le sultan n’a point encore d’enfans mâles ;
elle se trouve au contraire dans une position très-critique lorsqu’il
en a d'une esclave en faveur. Elle est heureuse alors si elle en est
quitte pour avorter ou voir étouffer en naissant l’être auquel elle
vient de donner le jour. Pour qu’une de ces odaliks devienne kadeun,
honneur extrêmement recherché et ardemment désiré de toutes, il
faut que le grand-seigneur renvoie une des sept favorites au vieux
sérail, heu d’exil pour ses femmes qui ont démérité ou qui ont eu
le malheur de déplaire.
C ’est aussi au vieux sérail (3) que sont envoyées toutes les femmes
du sultan qui vient de mourir ou qu’on aurait dépossédé ; elles y
sont nourries et entretenues avec quelque luxe , ét servies avec
beaucoup d’attention ; mais elles ne peuvent plus sortir de ce lieu
de retraite : il ne serait pas décent aux yeux des Musulmans, qu’une
esclave, supposée avoir joui des faveurs d’un sultan, passât entre
les bras d’un autre homme. Il n’y a que la mère du nouveau sultan,
nommée Validé-Sultane, qui ait sa liberté, un palais et des apanages.
Le nouveau harem est bientôt remonté, parce que les marchands
viennent offrir de toutes parts de jeunes esclaves , et que
les pachas et les grands s’empressent de présenter des beautés capables
de fixer l ’attention du souverain y ils espèrent par-là obtenir
à l ’instant ses bonnes grâces, et placer auprès de lui des personnes
qui peuvent un jour leur être utiles-
(1 ) Harem ou lieu sacré, lieu défendu : c’est le logement des femmes , distinct
de celui des hommes , chez tous les Mahometans.
(2) Les Odaliks sont distribuées par chambrées,
(3) Eski sçraï ; il a été construit par Mahomet IX.
Les
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Les voyageurs ont improprement nommé sultanes les femmes-
du grand-seigneur : ce nom ne se donne en Turquie qu’aux princesses
du sang, filles d’un sultan, ou, comme nous l’avons dit plus
haut, à la mère de celui qui occupe le trône. Les filles des sultanes
ne portent plus que le nom de Kanoum,-Sultane.
Il est bien difficile et peut-être impossible de connaître exactement
la manière dont les esclaves sont traitées dans le harem du
grand-seigneur : jamais l’oeil de l’observateur n’a pénétré dans ces
lieux de haine, de jalousie et d’orgueil ; dans ces lieux où les plaisirs
et l ’amour ont si rarement habité. Mais, d'après le rapport des
femmes que leur état y appelle, on peut se représenter trois ou
quatre cents eunuques noirs, méchans, acariâtres , tourmentés de
leur impuissance, maudissant leur nullité , cherchant à contrarier
les esclaves confiées à leur garde ; ensuite un nombre, considérable
de jeunes femmes dont le coeur voudrait s'épancher, dont les sens
sont émus de l ’idée des plaisirs qu’elles desirent en vain de connaître
, jalouses du bonheur qu’elles se persuadent que goûtent leurs
rivales, maudissant les surveillans qui les inquiètent, uniquement
occupées de leur toilette , de leur parure et de toutes les futilités
que l’oisiveté et l’ignorance peuvent leur suggérer y cherchant ,
plutôt par vanité que par amour, tous les moyens de plaire à un
maître trop souvent dédaigneux. O11 peut se représenter enfin un.
sultan jeune ou v ieu x , maîtrisé par des préjugés ridicules, sans délicatesse
, souvent bizarre ou capricieux, seul au milieu de cinq à
six cents femmes aussi belles les unes que les autres , en qui il fait
naître des désirs qu’il ne peut satisfaire, qui ne prend avec elles que
des plaisirs trop faciles et sans apprêts, auxquels le coeur n’a.point
de p a r t , et l ’on aura une idée de ce qui se passe dans le harem du
grand-seigneur.
L a garde des femmes n’est confiée qu’aux eunuques noirs:, dont
la mutilation est telle , qu’il ne reste aucune trace dfe; leur sexe; La:
jalousie orientale a fort bien jugé que de pareilles créatures étaient
plutôt capables d’inspirer des sentimens de haine et de mépris, que
ceux d’affection et d’amitié qui n’auraient pas manqué de naître si
la garde du harem avait été confiée à des femmes. Ce n’était pas
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