été entretenu. Sa population actuelle est de cinq à six mille habitons
, moitié Grecs, moitié Turcs : les Juifs y sont moins nombreux
qu’à Candie.
Réthymo, bâtie sur les ruines de l ’ancienne Rithymne, trop
faiblement défendue par terre, fut pillée et ravagée par les Turcs
dès l ’année i 5?2 , pendant que Selim II faisait pousser avec vigueur
le siège de Famagouste en Chypre : mais ce ne fut que sous le
regne d’Ibrahim, en 1645, que les Vénitiens en» furent chassés
pour toujours.
Quoique descendus avec nos conducteurs dans un kharavan-
serai, nous acceptâmes volontiers un logement qu’on nous offrit
chez un Juif, barataire français. Dans la soirée son fils nous fit
parcourir la v ille , nous montra le port et quelques jardins, et
nous raconta le déplorable événement qui avait obligé son père
de s’absenter.
Le pacha de Réthymo, qui d’un état abject venait de s’élever
aux grands emplois à force d’intrigues et d’argent, pressé de recouvrer
ses avances, de payer ses dettes et d’acquérir de nouvelles
richesses pour obtenir, avec un grade supérieur, un gouvernement
plus important, ne laissait échapper aucune occasion de rançonner
les habitans de Réthymo et les malheureux cultivateurs de sa
province ; et lorsque les occasions et les prétextes lui manquaient,
il taxait tout de même à des sommes plus ou moins fortes les
particuliers soupçonnés d’être riches. Depuis six mois qu’il était
dans la v ille , Grecs, Juifs et Musulmans, tous avaient plus on
moins payé. Abrahamaki, barataire et agent de la République,
s’était flatté que le pacha n’oserait s’adresser à lui ; il se trompait.
Abrahamaki passait pour riche : le pacha ne pouvait se résoudre
à laisser échapper cette proie. Il lui fit demander dix mille piastres,
l ’assurant de sa protection s’il les payait à l ’instant. Le Juif refuse
de donner cette somme. Le pacha insiste et menace. Abrahamaki
s’adresse alors au consul de France à la Canée ( le citoyen Henry
Mu re), et lui fait part de la position dans laquelle il se trouve. Le
consul se transporte sur le champ à Réthymo. Le pacha , qui
l ’apprend, fait saisir le Juif, le fait mettre aux fers dans le sérail,
ët le menace de le faire périr sous le bâton s’il ne compte à l’instant
la somme demandée.
Que pouvait faire le consul dans cette ëxtrémité ? Se présenter
au pacha, réclamer sa justice, demander l’exécution des capitulations
: le Juif n’en périssait pas moins. T out le monde convenait que
le pacha était capable de cette atrocité. La famille d’Abrahamaki
s’assemble : tous les Juifs de Réthymo s’agitent : on délibère :
chacun est d’avis de payer. Le détenu lui-même , craignant pour
ses jours, écrit à ses amis, les prie de compter la somme que le
pacha exige, et fait dire au consul de ne rien entreprendre en sa
faveur. L ’argent compté, le Juif est relâché; mais le pacha le
menace de le faire périr sous le bâton s’il fait entendre la moindre
plainte.
Cet abus d’âutorité ne pouvait être toléré sans de grands incon-
véniens. Le pacha avait osé attenter à la fortune et à la liberté
d’un agent de la République ; il devait être puni. Ne rien dire,
c’était une lâcheté ,■ c’était en quelque sorte autoriser cet homme
pervers à commettre chaque jour de nouveaux actes de tyrannie.
Bientôt aucun capitaine de navire n’aurait osé ni charger d’huile
à Réthymo, ni aborder céS parages devenus trop dangereux.
Nous apprîmes quelques jours après, qüe le consul avait fait dire
à l ’agent de se dérober aux coups du1 pacha, et qu’il avait écrit au
citoyen Descorches, envoyé extraordinaire près la Porte othomâne,
pour lui faire part de ce qui venait de se passer.
La plainte du consul fut appuyée par Celles que portait en même
tems le pacha de Candie , en raison d’autres vexations non moins
criantes. La Porte, qui permet tacitement à ses agens de pressurer
et dë tourmenter les sujets tributaires, ne peut Sans danger laisser
rançonner trop fortement les Musulmans, encore moins les protégés
« des puissances européènes. Le pacha de Réthymo, sur la
demande du citoyen Descorches et du padha de Candie, fut déposé,
et Condamné à restituer les sommés extorquées. Il obéit à la première
partie des Ordres de la Porte ; mais il déclara au chiaouX
qui vint les lui intimer, qu’aucune crainte, aucun motif ne pourrait
le déterminer à rembourser l’argent qu’il avait exigé.