C H A P I T R E V I I I .
Description du Bosphore et de ses environs. Arrivée a
Buyuk-déré. Du platane qu’on y remarque. Indices
d’un volcan à l’embouchure de la Mer-Noirè.
L e 3.5 prairial, nous résolûmes d’aller nous établir à Buyuk-dére ,
village situé en Europe, à près de cinq lieues de Constantinople,
vers l’embouchure du canal, afin d’être à portée de parcourir à une
assez grande distance de la ville , les champs de l’Europe et de
l’A s ie , nous transporter avec plus de facilités sur les bords de la
Mer-Noire , et profiter de la saison propre aux observations, aux
recherches et à la récolte de la plupart des objets d’histoire naturelle.
Les plantes printanières avaient déjà passé, et n’offraient plus
que des graines ; mais celles d’été allaient fleurir et nous faisaient
espérer une récolte abondante. A notre retour d’Égypte en thermidor
et fructidor an 3 , nous avons pris quelques plantes tardives
et beaucoup de graines^ et en revenant de la Perse l’an 6 , nous
n’avons pas quitté Constantinople sans recueillir les plantes printanières.
Nous vînmes nous embarquer à Top-hana sur un çaïque à trois
paires de rames : il fallut passer à travers une multitude de chiens
hargneux qui fatiguent les Européens de leurs aboiemens, et dont
il faut se méfier , parce qu’ils se vengent quelquefois à l’impro-
viste des coups de bâton qu’ils reçoivent de tems en tems de la
part des matelots. La place qui conduit à l’échelle où l’on s’embarque;
est grande, irrégulière, plantée de quelques beaux platanes ,
et ornée d’une fontaine construite depuis quelques années par un
capitan-pacha. Elle est surmontée d’une large charpente, où sont
entassés des omemens, des dorures, des sentences, des inscriptions.
On construisait à cette époque, dans le parc d’artillerie situé à côté
de la place, un triple rang de casernes, qui se présentent en amphithéâtre
et qui font un assez bel effet. Il y avait dans la place
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des tas de grains et de fruits , sur lesquels des tourterelles et des
moineaux en grand nombre se gorgeaient sans craindre les passans
ni le maître de ces denrées*
Les Turcs sont à cet égard de la plus grande indifférence : ils ne
se permettent ni de tuer ces oiseaux ni de les chasser ; quelques-uns
même se croient fort heureux de pourvoir à leur entretien. Ne
fa u t-il p a s , disent-ils, que ces innocentes créatures trouvent leur
subsistance : s’i l p la it à D ie u , nous aurons l’année p rochaine une
récolte p lu s abondante. Quelques-uns d’entr’eux construisent à
divers endroits -de leurs maisons des nids assez enjolivés , et se
gardent bien de troubler les amours de ces oiseaux, encore moins
de détruire leurs petits. Ces sentimens religieux contrastent singulièrement
avec la conduite injuste et oppressive; qu’ils tiennent
envers les Chrétiens qui habitent parmi eux et qu’ils ont impitoyablement
dépouillés, et ne s’accordent guère avec cette insatiable
cupidité qui caractérise la nation turque , et dont j’aurai
souvent occasion de parler.
En s’éloignant du rivage , la vue se porte avec plaisir sur les
faubourgs de Galata, de Top-hana, d eP é ra , de Salybasary et de
Fondocli, qù on laisse à gauche et qui se présentent en amphithéâtre.
On arrive bientôt devant le sérail de Bechik-tache , dont
j ’ai .déjà parlé. On voit ensuite le village de ce nom, ceux d’Orta.-
k eu i, de Kourou-tchesmé, d’Arnaoud-keui j mais tout cet espace
ne forme, à proprement parler, qu’un village contigu, où l ’on voit
de très-belles maisons presqu’entiérement construites en bois et
diversement peintes : celles des Turcs sont en blanc ou en rouge ;
celles ides Grecs, des Arméniens et des Juifs sont d’un brun noir.
Il n’est pas permis à ceux-ci d’employer les couleurs des Musulmans
: il faut en Turquie, que les maisons, comme les vêtemens
distinguent le maîtrede l’esclave.
Le terrain forme , tout le long du canal, une chaîne de collines
schisteuses, très-fertiles, couvertes de cyprès , de chênes , de tilleuls
, de maroniers , d’arbousiers , de myrthes , de genêts , de
vignes, qui présentent un aspect infiniment agréable. Ces collines
Sont interrompues par quelques vallons de la plus grande fertilité,