C H A P I T R E X I X .
Commerce d’exportation. Substances alimentaires. Bois
de chauffage, de menuiserie, de charpente et de
construction.
L e peu de confiance qu’inspire un gouvernement trop souvent
injuste, le peu de solidité que présentent les fortunes des particuliers,
la certitude de perdre son argent si l'homme à qui on le
prête meurt avec un emploi, ou s’il est puni de mort pour quelque
malversation vraie ou supposée ; la tyrannie qu’exercent partout
ceux qui sont investis du pouvoir , la vénalité des tribunaux, la
multitude innombrable de faux témoins , tout inspire en Turquie
Uno telle méfiance dans les affaires de commerce, que l’homme
ne prête son argent qu’à un très-gros intérêt, et ne livre ses mar-
cliandises à crédit qu’à un prix exorbitant. Très-souvent même
aucune affaire n’a lieu si le créancier ne se trouve nanti auparavant
d’un gage au dessus de la valeur de l’argent qu’il a prêté ou
de la marchandise qu’il a livrée à crédit. L ’intérêt de l’argent à dû-
s’élever en raison des risques que l’on avait à courir : il est ordinairement
de huit à dix pour cent à l’égard des Européens, de
quinze à vingt à l’égard des négocians musulmans, juifs, arméniens
et grecs ; il est 'à trente , quarante et même cinquante pour cent
à l’égard des Turcs qui appartiennent au gouvernement. On prête
aux particuliers à vingt-cinq et trente pour cent 5 mais on exige
presque toujours dans les villes , des gages pour la sûreté de la
créance.
La bonne-foi cependant n’est pas entièrement bannie de l’Empire
othoman. Les négocians européens savent que l’homme de
campagne remplit presque toujours sans difficulté les engagemens
qu’il a contractés, que l’homme d’affaire est ordinairement esclave
de sa parole, que le marchand manque rarement de s’acquitter à
l ’échéance des pàiémens’. Si la probité seule est le mobile dès premiers,
les autres sont jaloux de conserver une réputation sans
tache qui augmente leur crédit, multiplie leurs opérations, et
facilite toutes les affaires qu’ils entreprennent.
C’est avec les pachas et les grands que l’on doit éviter de traiter
autrement qu’avec du comptant, parce que ce sont eux qui montrent
le plus de mauvaise fo i, et qui abusent presque toujours de
leur autorité. Autant on peut être confiant avec l’homme simple
qui écoute et suit le/cri de sa conscience, avec le négociant toujours
mu par l ’intérêt qui lui ordonne de paraître honnête homme,
autant il faut se méfier de l’homme puissant que l ’intrigue a conduit
aux premiers emplois, q u i, sourd à la voix de l’honneùr,
croit pouvoir; se soustraire aux regards de la justice.
Je n’établirai point ici de: parallèle entre les diverses nations qui
habitent le Levant et qui sont soumises à la domination othomane :
les individus qui les composent, accusés d’être également cupides,
également rusés , également fourbes, remplissent néanmoins leurs
engagemens lorsqu’on a pris avec eux les précautions convenables.
Si la probité ne les y porte , la crainte du moins les détermine,
parce que les Turcs sont toujours là pour leur faire une avanie.
Quant aux Musulmans, on trouve en général chez eux plus de
bonne-foi : on peut en général se fier davantage à leur parole.
Nous les regarderions comme les plus probes et les plus estimables
de tous s’ils ne se montraient injustes envers les sujets tributaires,
si le mépris qu’ils ont pour eux ne les portait à violer à leur égard
le droit des gens. , à leur faire essuyer des humiliations et à les
couvrir même assez souvent d’opprobres.
C’est au gouvernement seul, fondé sur une religion oppressive,’
qu’il faut imputer, la fourberie des un s , la tyrannie des autres, les
vices de tous. Les Grecs , les Arméniens et les Juifs, privés des
droits de- citoyen, éxçlus des emplois civils et du service militaire ,
étrangers à la religion sur laquelle’ tou t est basé, obligés de racheter
tous les ans leur tête par un impôt avilissant (1 ), menacés
(1) Le karatchj