C H A P I T R E X .
Course aux îles des Princes. Amusement qu’on y trouve.
Leur description, leur culture et leurs productions.
Position avantageuse pour Vétablissement d un lazaret.
Nous avions déjà fait deux courses aux îles des Princes, l'une
en messidor, l’autre en thermidor : nous résolûmes,, vers la fin
de fructidor an 1 , d’y aller pour la troisième fois, afin de les
parcourir entièrement et en connaître toutes les productions.
Plusieurs de nos_amis nous accompagnèrent, tant pour se délasser
de leurs occupations, que pour chasser aux cailles extrêmement
abondantes et très-faciles à tuer dans cette saison. Un négociant
voulut nous recevoir dans sa maison de campagne, et se
charger de tous les détails de % dépense. Nous prîmes deux
grandes caïques, et dans deux heures, par un léger vent de nord-
nord-est, nous fûmes rendus au port de Prinkipos, distant à peu
près de douze milles de Galata, La mer était assez calme pour que
personne ne fût malade ; de sorte que nous pûmes jouir à notre
aise des difiërens points de vue que nous, présentait la côte d Asie.
Nous eûmes bientôt dépassé Calcédoine, l ’anse profonde qui se
trouve au-delà, le Cap planté de cyprès qui vient après, sur lequel
les Turcs ont élevé un fanal. Nous laissâmes au loin , à droite,
Prota et Antigone; nous nous approchâmes davantage de Chalkis,
et nous arrivâmes à Prinkipos avant le coucher du soleil.
L a ville est située à la partie orientale de l ’î le , l e long de la
mer : elle n’est presque peuplée que de Grecs, la plupart marins
ou cultivateurs, Sa population peut être évaluée à deux ou trois
mille habitans. La côte d’Asie n’étant éloignée que d’environ deux
lieues, les vaisseaux mouillent dans toutes les saisons avec sûreté,
à l’abri de toutes ces îles, mais plus particulièrement à une ou deux
éncablures des villages de Chalkis et de Prinkipos : les caïques
viennent s’amarrer le long du riyage , à une espèce de quai.
La difficulté de se rendre à Constantinople lorsque le tems est
mauvais ou le vent un peu trop fo r t , a fait préférer par les ambassadeurs
et lés agens des puissances étrangères, le séjour de
Belgrade, de Tarapia et de Buyuk-déré, où l’air est moins p u r ,
moins sai i , et où la peste se montre plus souvent que dans ces
îles. Mais ce désavantage est compensé par la faculté qu’ils ont de
partir dans tous les tems de ces trois villages, en voiture ou à
cheval, tandis qu’ils seraient obligés quelquefois aux îles', d’attendre
un tems favorable pour revenir à la capitale, où des affaires
pressantes peuvent les appeler à chaque instant.
Nous arrivâmes dans la saison la plus agréable et à l’époque de
l’année où le concours du monde est le plus grand. Nous avions
tous les soirs, dans un café ouvert à tous les curieux et à tous les
amateurs, un spectacle fort goûté des T u r c s , et fréquenté même»
par les femmes les plus décentes, quoiqu’il représentât le plus
souvent des scènes auxquelles les plus dévergondées Européènes
auraient honte d’assister : il est vrai que ces femmes n’entraient
pas dans le café, et quelles se contentaient de rester à la ru e , d’où'
elles pouvaient tout apercevoir. Ce spectacle se nomme kara-
g u eu ze, espèces d’ombres chinoises qui font les délices de la capitale,
et que les particuliers aisés se procurent de tems en tems
chez eux. La scène qui divertissait le plus les spectateurs, était
celle d’un âne prenant ses ébats avec un Juif. Nous avons été
surpris, la première fois que nous avons assisté à kara-gueuze,
de voir les T u rcs , naturellement graves et silencieux, se livrer à
une joie vive et à un rire immodéré à l’aspect de ces obscénités.
Quelle inconséquence, avons-nous dit, dans cette nation qui sévit
Contre le libertinage avec une rigueur extrême, souvent avec férocité
, qui punit quelquefois de mort les plus légères atteintes contré,
les moeurs, qui ne veut pas tolérer les filles de joie, et qui permet
èn public une pareille indécence î -
Les îles connues sous le nom A’Ile s des P rin ces, sont au nombre
de quatre grandes et cinq petites. La première se nomme P ro ta , la