en Chypre dans la saison de l ’année la plus dangereuse.
Nous traversâmes cette île dont les Grecs ont chanté avec
raison les merveilles, et dont les Turcs ont fait un lieu d’infection
et de mortalité. Nous en sortîmes le plus promptement
possible , et vînmes aborder en Caramanie.
L ’Asie mineure réunit les productions des pays les plus
froids à celles des pays les plus tempérés. Chaude sur les
bords et aux environs de la mer, froide dans l ’intérieur,
élevée , ornée de montagnes boisées , de plaines grandes,
fertiles et arrosées , l’Asie mineure est peut-être le pays de
la terre le plus beau, le plus va r ié , le plus susceptible de
nourrir une grande population. Nulle contrée n’a des côtes
plus sinueuses et des ports plus nombreux, plus sûrs et
plus vastes.
Arrivés à Constantinople, nous fîmes demander un sauf-
conduit à l ’agent de la puissance européène qui couvrait
les mers de ses vaisseaux : 11 nous fut refusé. Ce refus nous
procura l’avantage de voir l ’A ttiqu e , l’isthme de Coj-inthe,
le golfe de Lépante , les îles d’Itaque r de Céphalonie et de
Corfou 5 mais il fut peut-être la cause de la mort de mon
collègue, Bruguière succomba, à Ancône, à une maladie
©ccasionée par les fatigues d’un long voyage et le chagrin
subit d’avoir perdu un frère sur la même terre à laquelle
nous venions d’aborder.
Bruguière sera long-tems regretté par ses amis : il le sera
sans cesse par celui qui avait eu si souvent occasion d’apprécier
les qualités de son coeur , d’admirer les ressources
de sa tête et la profondeur de ses connaissances ; par celui
qui aurait si grand besoin de son secours pour la publication
des objets intéressans d’histoire naturelle qui résultent
de ce voyage. Personne n’avait mieux approfondi
que Bruguière la classe si difficile , si nombreuse, si Variée
de vers, de inollusques, de coquillages. I l s’était livré de
bonne heure à l’étude dé la botanique, et il n’était point
étranger aux autres parties de l’histoire naturelle. On doit
bien regretter qu’une mémoire étonnante et la plus grande
facilité de s’énoncer lui aient fait négliger de noter ses
observations , et l ’aient même, dans tous les terris , rendu
très-paresseux à écrire.
Quoique privé de mon collaborateur pour la publication
particulière des objets d’histoire naturelle inédits où peu
Connus, je ne m’en occuperai pas moins sans rélâche dès
que la partie historique sera un peu plus avancée, et que
la paix générale viendra activer de nouveau, parmi nous ,
la librairie.
Les goûts de Bruguière, son état maladif et son penchant
décidé pour une vie retirée et tranquille, ne lui ayant pas
permis, dans le cours de ce voyage , de se livrer au même
genre d’étude que moi , et de se transporter dans tous les
lieux où il y avait des observations à faire, des faits à
recueillir, j ’ai dû me charger seul de la partie du voya ge ,
relative aux moeurs , aux usages , aux lois des peuples que
nous visitions. Je n’ai pas négligé , pour la rendre encore
plus intéressante, de porter mes regards Vers nos relations
politiques et commerciales. L a géographie, tant ancienne
que moderne , la géoponie et la physique générale ont dû
fixer en même tems mon attention ; et si je n’ai pas donné
à mon travail tout l ’intérêt dont il était susceptible, c’est
que les forces de l ’homme, comme on s a it, restent toujours
bien au dessous de ses désirs.
Je dois témoigner ici ma reconnaissance aux citoyefts
R u fin , Dantan et Franquini, que j ’ai long-tems consültés
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