énergiques, qui défendent avec opiniâtreté le terrain qui les a vu
naître et l’indépendance qu’il leur procure.
Les Sphacliiotes avaient su conserver sous les Romains, sous
les Sarrasins, sous les Vénitiens et sous les Turcs , leurs lois et
leurs coutumes. Ils nommaient annuellement leurs magistrats dans
les assemblées générales du peuple. Obligés par les Turcs, à transporter
en été du haut de leurs montagnes la glace nécessaire à la
consommation des habitans de la Canée et dè Réthymo (1) , ils ne
payaient aucune taxe, aucun impôt; ils n’avaient point d’agas; ils
ne voyaient jamais chez eux les agens du gouvernement turc; ils
formaient, en un mot, une république en quelque sorte indépendante,
lorsqu’en 1769 des émissaires russes vinrent troubler la
paix et altérer le bonheur que ces 'Grecs privilégiés goûtaient sur
lfeùrs montagnes.
■ 1 Soit que Catherine eût réellement conçu le projet d’expulser les
Turcs de l ’Europe, et de placer son petit-fils sur le trône de Constantin
; soit qu’elle eût voulu seulement appeler l ’attention dé ses
ennemis loin des.lieux où elle allait porter ses principales forces,
il est certain qu’à l ’apparition de quelques vaisseaux russes , en
février 1770 , aux environs de Coron et de Navarrin, tous les
Grecs dé la Marée, ceux de la Macédoine et de l’Epire, la plupart
de ceux de l’Archipel, se levèrent au même instant,’ coururent aux
armes, et montrèrent un courage dont on ne les'croyait pas
capables. A cette époque, vingt mille fusils distribués à p ropos, et
dix mille Russes Commandés par des généraux > expérimentés }
auraient certainement produit dans toute la Turquie européèné
une révolution qui eût à jamais délivré les Grecs dé cès contrées
du joug ottoman.
Les Sphachiotes, dans cette circonstance, ne furent“pas les
derniers’ à prendre les armes. Quelques centaines des plus braves
d’entr’eùx vinrent joindre les Mainotes leurs amis , ét furent
ensemble offrir leurs services au comte Orlovv. ’ IJii plus’ grand
Htonibre'. se disposait à partir lorsqu’on reçût- la nOuvellê qüe léâ
(1) Lés Habitans dé Candie là retirent du mont Ida,
Russes,
Russes, qui n’avaient que trois vaisseaux de ligne et deux frégates,
qui se trouvaient sans munitions et sans troupes de débarquement,
avaient levé le siège de Coron, et abandonné les Grecs qui s’étaient
déjà emparés de Navarrin , de Patras, de Misitra et de quelques
autres villes moins importantes. 4
i Les Albanais musulmans, contre lesquels on n’avait pris aucune
précaution, ni par mer ni par terre, eux que quelques batteries
sur l’isthme de Corinthe, et quelques faibles navires dans les golfes
de Lépanteet d’Athènes eussent empêché de venir en Morée, se
répandirent bientôt dans cette presqu’île , battirent partout les
Grecs découragés par la retraite inattendue des Russes, et en firent
un- massacre horrible. Les dégâts que ces Albanais firent sur cette
terre Infortunée, . ne seront jamais réparés tant que lés Turcs
seront les maîtres dë ces contrées, et que le caprice de quelques
chefs pourra disposer de la fortune et de la vie des habitans.
t Le pacha de Candie,, instruit de la conduite des Sphachiotes,
résolut, là même année 1770 , de marcher contr’eux avec toutes
les forces de l’île. Il voulait les détruire, et offrir par-là un terrible
exemple de sévérité à tous les Grecs qui seraient tentés de les
imiter. Les Turcs, toujours prêts à combattre lorsqu’ils sé persuadent
qu’il y a des Chrétiens à tuer, des villes à piller, des garçons
et des filles à violer , dès esclaves de tout âge et de tout sexe à-
vendre, furent bientôt réunis sous leûrs drapeaux. Militaires et
cultivateurs, marchands et ouvriers, tous voulurent prendre part
à cette expédition. Quinze mille hommes armés de toutes pièces
parvinrent en peu de jours aux premières montagnes sur lesquelles
ils ne trouvèrent aucun habitant. Les femmes et les erifans des
Sphachiotes, accompagnés des vieillards et des infirmes, avaient
gagné les lieux les plus élevés et les endroits les pins inaccessibles.
Ceux à qui l’âge permettait de manier le fusil ou l ’épée , au
nombre de plus de deux mille , postés avec intelligencè à la
seconde chaîne de leurs montagnes, disputèrent avec courage
'chaque rocher, arrêtèrent long-tems à chaque gorge les Turcs peu
faits à cette manière de combattre ; et lorsqu’un passage était forcé
ou qu’un rocher était emporté, le Sphachiote, légèrement vêtu,
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