libres et heureux, les habitans de Scio ont passé successivement
sous la domination des Perses, sous celle des Grecs, sous celle
des Romains. Les Vénitiens tentèrent de s’y établir lorsque les
Européens en délire couraient en foule vers les régions orientales,
pour chasser les infidèles Musulmans de la 'ferre - Sainte. Les
empereurs grecs bientôt après vendirent l’île à des seigneurs de
Gênes, et cette république en avait fait l’entrepôt d’un commerce
étendu, lorsqu’en i 566 Soliman Ier. s’en rendit maître.
Favorisés par les Catholiques du pays, les Vénitiens s’emparèrent
de Scio en 1693, vers la fin du règne d’Achmet II : ils s’y conduisirent
d’une manière indécente et très-impolitique, en persécutant
les Grecs ennemis des Latins. L ’année d’après Mézomorto, amiral
tu r c , n’eut qu’à se présenter pour les battre et les en expulser.
Depuis cette époque Scio n’a cessé d’être soumise à l’Empire du
croissant.
Le plus ancien et le plus précieux monument dont cette île se
glorifie, est ce qu’on nomme VÉcole d ’Homère. A quatre milles
au nord de la v ille , au pied du mont É p o s, on trouve près le
rivage de la mer, une roche calcaire, dont le sommet est taillé en
plate-forme : elle a environ vingt pieds de diamètre : une banquette
en couronne la circonférence : au centre est un bloc quarré , qui
s’élève du rocher à un pied et demi de hauteur, et qui porte sur
chacune de ses faces la figure d’un sphinx dégradé, à peine.reconnaissable.
T el est ce monument que les habitans regardent comme
le lieu où Homère instruisait et charmait ses compatriotes j car ils
sont persuadés que Scio avait vu naître ce grand-homme.
Cette opinion, vivement appuyée par les u n s , fortement combattue
par les autres, laisse encore les esprits indécis. Les habitans
les plus instruits de Scio citent entr’autres un ceintre de marbre
gr is , que l ’on montrait encore il y a peu de tems, à E ry th ès,
comme un ancien ornement de la maison où Homère avait pria
naissance. Ds allèguent aussi l’excellent vin que donnent les côteaux
d’E rythès, voisins des champs arvisiens ; vin connu à Scio depuis
les tems les plus reculés , sous le nom de N ectar d'Homère. A les
en croire , ce serait ce nectar qui aurait sevré son enfance ; -ce serait
lé vin délicieux de ces côteaux, qui aurait été répandu sur les autels
qu’on lui éleva lorsque ses vers l’eurent conduit à l’immortalité.
A deux lieues au-delà de Y E cole d’H om ère, on trouve le port
Dauphin, sur lequel était située Yancienne Delphinium. Les vaisseaux
de guerre mouillent dans ce port en h iv e r , tandis qu’ils
trouvent plus commode et aussi sû r , en é té , de jeter l’ancre aux
environs de la ville de Scio.
Quand on a dépassé les îles Spalmadores et doublé le cap , on
arrive à Cardamyla, où l ’on voit, suivant Tournefort, les ruines
d ’un temple qu’il croit avoir été consacré à Neptune. Nous n’avons
point débarqué à Cardamyla, mais nous y avons passé fort près
le jour de notre départ de Mitylène. La côte aux environs est très-
élevée y escarpée : la roch e, nue en plusieurs endroits, nous parut
calcaire partout.
A l’ouest de l’île , on aperçoit à peu de distance de Pirghi, dans
une petite plaine qui aboutit à la mer, des ruines que l’on doit
regarder comme celles de l ’ancienne Phanum. Ce lieu , nommé
aujourd’hui P han a, présente des amoncellemens de décombres ,
des tas de pierres, la plupart carrées, unies, taillées au ciseau j
mais on n’y découvre ni inscription ni colonne ni bas-reliefs : le
mouillage, exposé au nord-ouest, serait dangereux en hiver pour
de gros navires. Les champs et côteaux arvisiens , si célèbres
autrefois par la bonté de leurs vins, sont plus au nord et font-
partie du territoire de Volisso.
Dans les premières courses que nous fîmes dans l’île , on ne
manqua pas de diriger nos pas vers Sclavia, située à plus de deux
lieues au sud de Scio. Une eau vive, fraîche et abondante sort au
bas de quelques rochers calcaires, et va arroser des jardins qui se
trouvent au dessous. Ce lieu, vraiment beau, vraiment pittoresque,
est en vénération dans le pays : on attribue une infinité de vertus
à ces eau x, et l ’on croit que c’est autour de cette fontaine que la
belle Hélène venait se baigner lorsqu’elle habitait l ’île.
A l ’égard de la sculpture antique , on ne trouve à ;Seio aucun
monument remarquable en ce genre, si ce n’est deux bustes sans
tê te, enclavés dans le mur extérieur d’une maison de campagne
O o a