Ces malheureux, excités peut-être par le trésorier, qui haïssait
un surveillant dont les moeurs et la probité lui faisaient ombrage,
et par quelques Grecs jaloux de la préférence qu’obtenait sur eux
un étranger, vinrent un jour au nombre de plus de cinquante, dan9
l’intention de le tuer. Le citoyen Toussaint, robuste et courageux,
après avoir échappé à plusieurs d’entr’eu x, qui l’assaillirent dans
le trajet du chantier au village, s’enferma dans sa maison, braqua
six tromblons en face de la porte d’entrée, arma son épouse et son
domestique, prit lui-même un fusil à deux coups, deux pistolets et
son sabre, plaça un barril de poudre au milieu de là maison, annonça
à ces hommes féroces qui tentaient d’enfoncer la porte, quels
étaient ses moyens de défense, et l’intention de s’ensevelir avec eux
sous les ruines de sa maison s’ils osaient y entrer. Quelques-uns
tentèrent de pénétrer par les fenêtres, mais partout ils trouvèrent
un homme qui leur présentait la mort. Les habitans du village,
par pitié, par attachement ou par intérêt (1), s’empressèrent bientôt
de venir à son secours : ils n’eurent pas grande peine à désarmer, par
leurs larmes et leurs prières, des hommes que le courage du citoyen
Toussaint avait déjà ébranlés, qui trouvèrent sans doute plus
prudent de se retirer dans leurs habitations, que de hasarder leur
vie contre celui qui défendait si bien la sienne.
Quoique la saison ne fût guère propre aux herborisations, nous
trouvâmes cependant quelques plantes intéressantes : nous vîmes
en fleurs, sur toutes les haies, la clématite à vrilles (2), et vers les
bords de la mer un joli daphné que nous avons retrouvé en Syrie,
dans l ’intérieur de l’Asie mineure, et que Tournéfort avait découvert
en Crète (3). Il y avait aussi sur les côteaux une nouvelle
espèce de spartium (4), arbrisseau qui s’élève à cinq pieds, dont
(1) Le gouvernement turc, dans le cas d’assassinat, . exige Aine forte amende
des habitans. . ■ '
(2) Clematis cirrhosa. Linn. — Lamark, Encyclop. Botan. Clématite, n°. 9.
(3) Thymeloea cretica , oleoe folio subtus villoso. Toum. Coroll. pag. 41.
Lamark, Encyclop. Bot. Lauréole, n°. 22.
Daphne collina. Smith. Spicil. Fasc. a , pag. 16, tab. 18.
(4) La tige encore jeune de çe spartium a trois angles qui s’oblitèrent insensible-
%
nous avons envoyé au jardin national des plantes et au citoyen
Céls , des graines qui ont très-bien levé.
Nous vîmes partout dans les bois l'andrachné et Y arbousier chargés
de fleurs et de fruits ; le 'premier,, un peu plus sensible au froid
que l’autre, ne1 croît pas aux environs de Constantinople : nous
l’avons trouvé abondant sur l’Hellespont, dans les îles de l ’Archipel,
sur la côte de l ’Asie mineure, en Syrie. Il s’élève quelquefois à la
hauteur d’un arbre ; mais il conserve plus ordhiairement celle d’uii
arbrisseau. Son tronc, lisse et rouge lorsque l ’épiderme de l’année
précédente est tombé, la beauté de son feuillage, ses'fleurs en
grappe, ses fruits d’un rouge v if, tout concourt à le rendre un des
plus beaux arbrisseaux du Levant. Si l ’arbousier lui cède pour lé
po rt, les tiges , 1 e feuillage et les fleurs , il réclame la supériorité
pour les fruits. Ceux de l ’andrachné sont, plus petits que ceux de
l ’arbousier : ils ont un goût aigrelet et acerbe, qui ne vaut pas la
douceur un peu fade de l ’autre.
On aperçoit des montagnes voisines, le lac Ascanius et la fertile
plaine de Nicée, dont j’aurai occasion de parler ailleurs. On compte
deux ou trois heures de marche de Ghemlek au la c , et sept à huit
pour aller jusqu’à Nicée. Pruse se trouve à peu près à la même distance.
Ces lieux nous rappellent la seconde bataille livrée près de
C iu s, l’an 193 de l ’ère chrétienne, entre Lucius Septimius Sévérus
et Pescennius N ig e r , qui se disputaient l’Empire des Romains après
la mort du vertueux Pertinax, massacré par une soldatesque indisciplinée
et corrompue. Ils nous rappellent aussi les efforts que
firent les premiers empereurs turcs pour s’emparer de Ghemlek (î).
ment : elle pousse un grand nombre de rameaux, qui sont alternes, plians et d’un
vert blanchâtre. Les feuilles , presque sessiles, sont ternes et dépourvues de stipules.
Les fleurs, dun jaune doré et munies de bractées, sont disposées en grappes au
sommet des rameaux : il leur succède des légumes oblorigs et tronqués à leur
sommet.
Le citoyen Ventenat, qui publie les plantes cultivées dans le jardin du citoyen
Cels, a fait figurer ce spartium, et doit l’insérer dans un de ses prochains fascicules
, sous le nom de spartium parvijlorum,
(1) Quelques auteurs écrivent Kemluk.