parce qu’il a passé depuis peu un étranger qui lui a donné 5oo
piastres pour aller voir je ne sais quelles ruines à dix lieues n’ic i.-—
Fort bien ! Dites au pacha que nous n’achetons pas si cher la vue
de quelques tas de pierres, et qu’il peut faire des avanies aux Grecs
et aux Juifs s’il a besoin d’argent : quant à nous, nous n’avons
pas 5oo piastres, et si nous les avions, nous saurions les employér
plus utilement. Le drogman essaya de nous faire consentir à quelque
sacrifice moins grand. — Pas une piastre, pas un para : d’ailleurs,
ce ne serait point par votre canal que nous traiterions si l ’envie:
nous en prenait.
Il était inutile, dans les circonstances, de faire un plus long
séjour à Candie. Nous résolûmes d’aller, s’il était possible, par
terre à la Canée, persuadés que nous trouverions auprès du consul
toutes les facilités dont nous avions besoin. Nous fîmes demander
un janissaire pour nous accompagner ; l ’aga nous envoya un
homme fort connu, établi dans la ville depuis long-tems : un'
muletier turc, janissaire lui-même, nous fournit des chevaux et
nous servit de guide. Nous savions qu’il n’y avait rien à craindre
dé la part des Grecs, et les deux janissaires établis et mariés, qui
se chargeaient publiquement de nous conduire à la Canée , répondaient
suffisamment de nous. Nous tranquillisâmes sur notre
compte les marins, qui témoignaient de l’inquiétude. Nous envoyâmes
par mer nos effets avec un domestique grec , et nous
partîmes seuls et sans bagage, le r7 thermidor au matin.
Ces janissaires, nés dans l’î le , parlaient fort bien le grec et
buvaient encore mieux le vin et l’eaja-de-vie. Nous fûmes fort
contens d’eu x , et nous.apprîmes de leur bouche même, que le
pacha ne nous avait parlé de brigands que pour avoir de l ’argent
et le prétexte de nous donner, à nos frais, une escorte sur laquelle,
il aurait prélevé ses droits. J’aurais supprimé cette anecdote peu
importante si je n’avais cru qu’elle peut être utile aux voyageurs,,
et si elle ne montrait en même tems combien les âgens du gouvernement
turc sont avides d’argent et peu délicats sur les moyens de
s’en procurer.
Les environs de Candie offrent quelques plaines fertiles, cultivées ,
et quelques côteaux susceptibles de l’être. A quelque distance au
sud, on voit une montagne isolée, en forme de pyramide, au pied
de laquelle on passe lorsqu’on va parcourir les ruines de Gortyne :■
les Européens la connaissent sous le nom de montagne de Jupiter.
Au sud-ouest le mont Ida, couvert de neige presque toute l’année,
jette d’un côté quelques rameaux vers la ville, et va se réunir de-
l ’autre aux montagnes de la Sphachie, pareillement couvertes de
neige pendant huit à neuf mois.
En sortant de la ville, nous trouvâmes une plaine basse, assez
étendue, arrosée par deux ruisseaux, après quoi nous traversâmes
des collines et des montagnes calcaires, sûr lesquelles les Vénitiens
ont pratiqué des chemins pavés qui se sont assez bien conservés.
Nous laissâmes les premiers chaînons de l ’Ida fort près de nous à;
gauche. Nous vîmes partout en abondance le storax parmi les:
plantes et les arbrisseaux que nous avions rencontrés dans les îles
de l’Archipel. Nous arrivâmes de bonne heure à Damasta, village
peu considérable, où nous passâmes le reste de la journée. On
nous fit partir le lendemain avant le jour. Nous traversâmes des
lieux moins élevés , moins arides , plus cultivés que ceux de la
veille; des plaines fertiles, peu étendues, des vallons étroits. Nous
vîmes beaucoup d’oliviers, quelques:'vignes , quelques mûriers,
plusieurs chênes. Nous reposâmes sous le platane dont parle
Tournefort-, auprès d’une source considérable qui naît à trop peu
de distance de la mer pour servir à l ’arrosement des terres. Nous
marchâmes long-tems au bord de la mer, et nous arrivâmes de
bonne heure à Réthymo.
. Les environs de cette ville offrent des points de vue trés-pitto-.
resques : des jardins plantés d’orangers, parmi lesquels s’élèvent
quelques dattiers ; des champs couverts d’oliviers et de plantes
potagères ; des côteaux sur lesquels la vigne, le figuier, le mûrier
et l’amandier croissent ensemble ; plus loin, des montagnes boisées :
à l’ouest, des rochers nüs et des collines arides : au nord, la
citadelle, le port et la mer : tout concourt à rendre Réthymo la
ville la plus agréable fie l’île. Elle serait devenue peut - être la
plus riche et la plus peuplée, si le port, tout petit qu’il est, avait