remplir, disait-il, tin devoir, et pour céder au désir que ce vieillard
respectable avait de nous voir et de nous consulter sur sa santé.
Vous trouverez, ajoutait-il, auprès de lui toutes les facilités que
vous pouvez desirer pour visiter M e sans aucun danger.
Notre premier mouvement lut de refuser d’aller chez le pacha,
auquel nous n’avions rien à demander. A quoi bon cette visite,
disions-nous au drogman ? Elle est pour le moins inutile. Montrez-
lui nos firmans, dites-lui qui nous sommes et ce que nous venons
faire ici : ajoutea-lui que nous n’exerçons pas la médecine quoique
nous ramassions des plantes, et faites-lui entendre qu’il est très-
souvent dangereux de consulter des médecins lorsqu’on se porte
bien. Le drogman insista : il nous dit que nous ne pourrions faire
un pas dans l’île si nous n’accédions aux désirs du pacha. L ’agent
fut de son avis : quelques capitaines de navires , présens à notre
conversation , applaudirent à cette proposition : la curiosité plaidait
aussi en faveur du drogman ; nous consentîmes, et l'après-midi on
nous conduisit au sérail.
Nous fûmes d’abord reçus chez les principaux officiers , qui
nous parlèrent avec empressement de la révolution française et de
la guerre que nous avions alors à soutenir contre les ennemis
naturels de la Porte. Nous répondîmes avec réserve à toutes leurs
questions : cette matière était trop délicate à traiter en Turquie.
On nous offrit la pipe, le café, le sorbet et les parfiuns, après
quoi on vint nous annoncer que le pacha était prêt à nous
recevoir.
Nous n’avions trouvé que des sophas chez les officiers ; nous
mues deux chaises chez le pacha, placées à peu de distance de lui.
Nous lui fîmes, en entrant, notre salut à l ’orientale (1), auquel
il répondit. Il nous invita de nons asseoir : le drogman et le fils
de l ’agent s’accroupirent sur un tapis. Après les compMmens
d usage sur notre heureuse arrivée, le pacha nous parla de sa
(1) Il consiste à porter la main droite au coeur et incliner un peu la tête. Les
Turcs prononcent entr’eux leur salant alàih> salant alaik-hom, qu’ils se gardent
bien de dire à un non-Musulman.
santé, et nous pria de lui tâter le pouls- C’était un vieillard de
bonne mine, âgé de plus de soixante-dix ans. Nous satisfîmes à sa
demande; nous lui dîmes qu’il se portait bien et qu’il avait encore
plus de vingt ans à vivre. Il parut satisfait de cette prédiction.
Il nous demanda ensuite quel était l ’objet de notre voyage. La
curiosité et le désir de nous instruire, répondîmes - nous, nous
amènent dans votre lie . Nous avons passé quelques mois à Cons-
tantinople ; nous avons parcouru la plupart des îles de l’A rchipel ;
nous voudrions jeter un coup-d’àsil sur le pays célèbre qtle vous
gouvernez, et ramasser quelques-unes de ces plantes balsamiques
que le ciel y a répandues avec profusion. Cela; ne se peut pas ,
nous dit-il froidement : je ne puis vous donner une pareille permission.
Nous montrâmes nos firmans, par lesquels nous avions
la faculté de parcourir toutes les contrées soumises à la domination
othomane. Cela, ne se peut p a s , nous disait toujours le pacha.
Nous citâmes plusieurs voyageurs; nous parlâmes des marins,
qui se promènent dans l’île avec la plus grande liberté, qui vont
à la chasse, et partout où. bon leur semble. Le pacha répétait
toujours : Cela ne se peut pas ; votre vie serait exposée : je ne puis
y consentir.
Il nous parla de bandes de voleurs et de brigands qui infestaient
les chemins, et qui nous massacreraient si nous allions au mont
Ida, à Gortyne, ainsi que nous le demandions. Cela ne peut pas
ê t re , dîmes-nous à notre tour ; i l n’y a pas de bandes de voleurs
et de brigands dans un pays bien gouverné : le supplice suivrait
de trop près le crime, pour que les scélérats osassent se montrer.
Sans doute , nous dit le pacha : il y a bien moins de brigands
depuis que je commande ; mais il y en a encore assez pour que vous
soyez exposés à perdre la vie. Nous dîmes au drogman d’abréger
une conversation qui pourrait devenir désagréable pour tous, et
d’obtenir la permission de nous retirer ; ce qui nons fut accordé.
Nous étions très-étonnés de cette rigueur du pacha, et nous
cherchions à en deviner la cause, lorsqu’un mot du drogman fiat
pour nous un trait de lumière. Le pacha, nous d it - iî, ne s’est
montré difficile à vous accorder ce que vous lui demandiez , que
A a a a