pour mieux dire cette rade, est située au nord de Lesbos. Elle est
ouverte au nord-ouest ; ce qui rendait la mer houleuse : les navires
y mouillent cependant en sûreté par tous les vents, parce que
les vagues sont arrêtées par quelques rochers qui se trouvent à
rentré e, et parce que la côte d’Asie, dont la distance n’est que de
deux ou trois lieues, ne permet pas que la mer soit très-agitée dans
ce canal par les vents de nord et de nord-ouest.
Il y avait à bord deux janissaires auxquels nous avions été recommandés
par un riche Turc de Ténédos. Impatiens d’arriver à
Mitylène, et craignant de n’être retardés s’ils continuaient leur
route par mer, ils débarquèrent à Pétra, dans l ’iintention de traverser
l’île. Je saisis aussitôt cette occasion et je leur proposai de les
suivre. J’emmenai avec moi un domestique ; le citoyen Bruguière
resta à bord avec un autre pour veiller aux effets que nous ne
pouvions confier à des domestiques grecs dont la probité nous
paraissait suspecte, ni à des mariniers de cette nation, que nous ne
connaissions pas.
Le village de Pétra, ainsi nommé à cause d’un gros rocher isolé,
granitique qui se trouve au milieu, est situé en plaine vers le rivage
de la mer : il n’a que deux ou trois cents habitans turcs et
grecs , presque-tous cultivateurs. Il est entouré de montagnes volcaniques,
et il a une petite plaine qui se réunit à celle de JVTolivo.
Les femmes grecques de ce village portent une coiffure extrêmement
relevée, semblable en quelque sorte à une mitre.
Gomme nous ne trouvâmes pas des chevaux à Pétra, les janissaires
me proposèrent d’aller coucher à Molivo, distant de près
d une lieue. Ce village est à l’est de Pétra, sur un côteau peu éloigné
de la mer : il est bâti sur des rochers de basalte, précisément
au lieu qu’opcupait autrefois Méthymne. Il est dominé par un château
presque ruine , construit par les Génois : on y voit encore
épars quelques canons démontés ou brisés.
L a population de Molivo peut être évaluée à deux ou trois mille
habitans-, tant turcs que grecs. Son territoire est formé d’une plaine
peu etendue, très-fertile, entourée de montagnes volcaniques. Ses
productions consistent principalement en huile, en blé et en orge.
II y a un peu de vin et divers fruits. On y récolte aussi du coton
et plusieurs plantes potagères.
Molivo possède, comme autrefois, des musiciens distingués. Pour
charmer l ’ennui des janissaires, en attendant le souper, on nous
fit venir entr’autres un jeune Grec nommé Petraki Tangros, qui
passait avec raison pour le plus habile chansonnier et le plus grand
musicien de Lesbos. Ce jeune homme, qu’une éducation soignée
aurait rendu encore plus recommandable, avait une jolie figure,
une voix agréable, un esprit v if, un caractère enjoué. Il avait plusieurs
fois exercé ses talens de poëte et de musicien à la capitale
de l’île, et devait se rendre sous peu de jours à Smyrhe, où un
virtuose, dont il était l’élève et le parent, venait de l’appeler. Je
crus voir en lui un descendant d’Arion, ce fameux poëte lyrique
que Méthymne avait vu naître dans ses murs, ou de ce Therpandre
qui perfectionna la lyre et parvint à appaiser une sédition par ses
chants mélodieux.
Nous logeâmes chez un Musulman qui était dans l’usâgé, moyennant
une légère rétribution, de donner l’hospitalité à ceux de sa
religion que le hasard Ou des affaires conduisaient à Molivo. Il
nous présenta, pour notre souper, un pilau et quelques olives : un
mauvais sofa nous servit de lit à tous ; mes vêtemens me tinrent
lieu de couverture, parce què célle qü’on m’o ffr it, me parut trop
usée et trop sale.
Notre bateau mit à la voile lé lendemain, dans le même tems
qu’on nous amenait des mulets qui avaient asséz bonne mine , et
dont nous eûmes lieu d’être contens. Malgré le Crédit et les efforts
de mes deux compagnons de voyage, je ne pus me procurer une
selle. Il fallut se contenter d’une sorte de bât sur lequel on mit un
tapis. Il est vrai que les gens du pays ne voyagent pas autrement ;
il n’y a que quelques agas qui aient des selles qu’ils se gardent
bien de prêter, surtout à des infidèles. Nous revînmes pâsser à
Pétra ; nous traversâmes plusieurs montagnes entièrement volcaniques
, et nous arrivâmes, après six heures dé marche forcée, à
un petit village situé dans -la plaine qui se trouve âu fond du port
Caloni. Cette plaine a deux lieues d’étendue : sa principale culture
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