ej sûr lesquels il obtint la permission de faire flotter le pavillon
russe.
Quelque faible que fût cet armement, il inquiéta beaucoup les
Turcs ; il électrisa les Grecs de la Morée et de l’Épire : ceux de
l ’Archipel se contentèrent d’envoyer secrètement quelques matelots;
ceux de Constantinople, de Smyrne, de Salonique parurent
n’y prendre aucune part ; mais tous fournirent sous main de
l ’argent.
Déjà cette flotte se trouvait renforcée par des prises importantes;
déjà Lambro se regardait comme le prochain libérateur
de la Grèce, lorsque tout-à-coup la guerre changea d’objet, et se
termina par une paix inattendue. Il était bien plus important,
en 1790 et 1791, d’arrêter les progrès de la révolution française,
que de rendre les Grecs indépendans. Les deux cours d,’Autriche
et de Russie furent en quelque sorte obligées d’ajourner la guerre
contre les Turcs au moment où l’on aurait morcelé la F rance, divisé
ses forces, anéanti ses escadres, incendié ou détruit ses arsenaux.
La paix conclue, Lambro reçut ordre de quitter le pavillon
russe et même de désarmer. Il obéit un moment ; mais bientôt
il recommença sa croisière -sous le même pavillon, et infesta de
nouveau l’Archipel et les côtes de la Morée. La Porte se plaignit à
l ’ambassadeur de Russie, qui désavoua Lambro, de sorte qu’il ne
resta aux Turcs d’autre parti à prendre , que d’armer promptement
pour arrêter les progrès d’un homme qu’on savait être
fortement soutenu.
Lambro, qui avait alors plusieurs frégates ou corvettes et un
grand nombre d’autres petits bâtimens bien armés, et montés par
des hommes déterminés, résista par son courage, ou échappa par
son adresse aux vaisseaux que la Porte envoya contre lui. Mais
il fut ensuite attaqué par des forces si considérables, commandées
par les Algériens et les Turcs réunis, qu’il fut entièrement détruit,
et qu’il courut les plus grands dangers de perdre la vie. Il fit dans
cette occasion des prodiges de valeur ; et quoiqu’il eût à combattre
plusieurs vaisseaux de ligne, il disputa la victoire toute la journée :
il avait vu prendre, couler ou incendier la presque totalité de sa
flotille, qu’il combattait encore. Son vaisseau était criblé et menaçait
à chaque instant de l’engloutir. La nuit vint heureusement
mettre fin à ce combat trop inégal, et lui fournir les moyens4e se
sauver sur des chaloupes avec une partie des braves qui l ’avaient
si bien secondé. ,
Ce revers n’abattit pas le courage de Lambro : son génie et son
activité lui fournirent de nouvelles ressources. Il ne tarda pas
d’avoir un armement presqu’aussi fort que le premier, avec lequel
il se montra de nouveau dans l’Archipel. Il est certain que cet
homme extraordinaire aurait long - tems inquiété la Porte, s’il
n’avait pas eu la mal - adresse de. méconten ter presque tous les
Grecs, en abusant du crédit et des forces qu’il tenait de leur générosité
, en exigeant impérieusement ce qui n’était d’abord de leur
part qu’une offrande volontaire, en tolérant les excès auxquels ses
équipages se livraient, et si enfin, pour se procurer de l’argent,
il ne se fût, en vrai pirate, permis d’attaquer et de prendre indistinctement
des navires marchands que son intérêt même lui prescrivait
de respecter. Un kerlanguisch et une galère à ses ordres
osèrent, en mai ou juin 1792, attaquer et brûler deux navires
français mouillés à une lieue de Naples-de-Romanie, quoiqu’il y
eût dans les mers du Levant une division de frégates françaises
destinées à protéger notre Commerce.
Cependant la Porte, instruite du nouvel armement de Lambro
et de la part qu’y prenaient les Mainotes, avait renforcé l’escadre
du capitan-pacha, et avait fait marcher en même tems ses troupes
de Morée pour attaquer les Mainotes du côté de Misitra , tandis
que l’escadre agirait dans les golfes de Coron et de Colokytia, que
l ’on savait être le refuge de Lambro.
Dans le tems que M. de Choiséul informait M. de Saint-Vallier,
commandant la division, de ce qui se passait, M. de Venel, capitaine
de la M odeste, était, arrivé à Coron pour venger l’outrage
fait au pavillon français. Ayant appris que Lambro était mouillé à
Port-aucc- C ailles, il fit voile aussitôt pour forcer dans son repaire
cet homme, qui n’était plus qu’un pirate dangereux qu’il fallait se
hâter de détruire.