Déjà les collines étaient couvertes de spectateurs : une partie de
la maison du sultan était arrivée, et les pages s’exerçaient sur la
prairie, à lancer la djerid. L armee s’etait avancée vers la pente
de la colline, et n’attendait plus que l ’ordre du départ. Toutes les
enseignes étaient déployées, et la musique guerrière se faisait entendre
de tems en tems.
Sultan Selim arriva à dix heures dans un superbe caïque, et fut
se placer au kiosk de son ecuyer : nous étions à vingt pas de lu i,
à l’ombre d’un frêne, sur la rive opposée de la rivière. Un moment
après, l ’ordre fut donné et la troupe défila. Elle descendit
par la colline de la rive gauche de la rivière, vint passer sur un
pont de bois à peu de distance du k io sk , suivit le chemin pratiqué
au bas de la colline de la rive droite, et fut camper pendant trois
jours à deux lieues de l à , aux environs d’une ferme connue sous
le nom de Daout-pacha.
Nous vîmes successivement passer des compagnies de cavalerie
de d é lis, de za'ims, de timariots, de sélictars et de sp a his, armés
d un fusil, de deux pistolets et d’un sabre. Après eux se présenta
une compagnie de cavaliers armés de lances : ils avaient, comme
les précédens, leur sabre et leurs pistolets. Chaque compagnie
était précédée par un ou deux drapeaux, et suivie par un grand
nombre de sacas ou porteurs d’eau. Les chevaux sur lesquels ces
sacas étaient montés, avaient deux grandes outres de cuir de boeuf
pleines d’eau, pour les besoins de la compagnie.
Ce qui faisait un assez mauvais effet parmi cette troupe d’élite,
c’est que les fusils étaient de forme et de calibre différens : les cavaliers
étaient irrégulièrement vêtus ; beaucoup d’entr’eux étaient
déguenillés et mal montés, tandis que quelques autres étaient
mieux vêtus, mieux montés et mieux armés. Les chefs se distinguaient
par la beauté des chevaux, par la richesse des harnois et
par les valets-de-pied qui les précédaient.
L a compagnie d’artillerie légère en uniforme , assez bien
montée, ayant avec elle quarante pièces de canon, se montra
sous une apparence plus guerrière : elle était composée de jeunes
gens forts et vigoureux : leur contenance, leur adresse et leurs
manoeuvres font honneur aux militaires français qui les ont
exercés.
Nous vîmes passer après eux quelques autres compagnies de cavalerie
, et ensuite quatre-vingts drapeaux de couleurs différentes.
Il restait toute la maison du général, deux voitures européènes
et deux litières, lorsque nous vîmes paraître Hussein-pacha à
cheval, suivi de deux bostangis et d’un tchocadar à pied : il traversa
la prairie, e t , parvenu à peu de distance du kiosk, il mit
pied à terre : il fut aussitôt entouré des pages du sultan et conduit
à la salle d’audience. Il s’approcha de sa hautesse, baisa le bas de
son habit, et se plaça à peu de distance d’elle, à genoux, assis sur
ses talons , les mains sur les cuisses, cachées par les grandes
manches de son habit. Tous les pages sortirent de la salle : il ne
resta que trois muets pour le service. La conférence dura une
demi-heure, après quoi Hussein baisa de nouveau le bas de l ’habit
de sa hautesse, et fut revêtu d’une superbe pelisse par quelques
pages qui entrèrent à cet effet.
Hussein descendit du kiosk, remonta à cheval, revint par un
demi-cercle se présenter devant le sultan, s’inclina jusqu’à l’étrier
du pied droit, et s’en fut accompagné des trois personnes avec
lesquelles il était venu.
La troupe s’était arrêtée pendant la conférence ; mais la musique
militaire n’avait pas discontinué de se faire entendre : elle était
composée de trompètes, de tymbales, de tymbalons et de tambours
différens de ceux d’Europe.
La maison du pacha défila en bon ordre : elle était remarquable
par la beauté des chevaux, la richesse des harnois, la parure des
cavaliers : nous vîmes passer ses tchiaoux, ses tchocadars, ses
secrétaires et écrivains, une troupe de galiondjis, enfin sès voitures
et ses litières. Trois cavaliers portaient, parmi les drapeaux, sur
une sorte de pique, les trois queues de cheval qui désignaient son
grade. Le pacha se montra ensuite, suivi des principaux officiers
de sa maison et de quelques officiers - généraux de son armée :
une compagnie nombreuse de sacas termina cette marche.
Nous avons remarqué dans toutes les compagnies, des gens