Nous le vîpies arriver peu de jours après nous, à la Canée : il
fut salué par les canons du fort, et reçut la visite des agas et des
principaux habitans de la ville. Il rendit lui - même sa visite au
pacha de la Canée, et hâta son départ pour la Morée, où il allait
attendre l’effet de ses nouvelles intrigues à Cobstantinople.
Cependant tous ceux qui avaient à réclamer de l ’argent et qui
étaient spécialement désignés dans le firman de la P o rte, se présentèrent,
soit au pacha de Candie, soit à celui dé.la Canée, afin
d’être remboursés avant le départ de leur spoliateur. Il est vraisemblable
que ces deux pachas eurent l ’air d’agir pour déterminer
celui de Réthymo à faire la restitution ordonnée par la Porte,
puisqu’il disait hautement que si l’on tentait contre lui la moindre
violence, il se mettrait à la tête de ses gens et repousserait la force
par la force. C’est en vain qu’on lui représenta l ’obéissance qu’il
devait aux ordres du sultan : il n’en persista pas moins à déclarer
que l’aspect même du supplice ne pourrait l ’y déterminer, et
qu’aucune autorité ne saurait l’y contraindre.. Il partit donc sans
que personne osât rien entreprendre contre lui. Il reçut les politesses
du pacha de la Canée, et fut salué de nouveau par les canons
du fort, comme s’il n’eût point été un sujet rebelle, et comme s’il
eût emporté avec lui les regrets des habitans.
Nous ignorons la suite de cette affaire; mais il est probable que,
moyennant l’argent qu’il a extorqué, argent que ses agens à Cons-
tantinople auront adroitement répandu parmi les personnages
influants , non - seulement cet homme , doublement. coupable,
n’aura pas été puni, mais qu’il aura même obtenu une place phis
honorable et plus lucrative que la première. n
Le lendemain 19 thermidor nous partîmes au lever du soleil,
en faisant des voeux pour que les Turcs qui outragent, l’humanité,
qui-oppriment d’une manière révoltante les peuples qu’ils, ont
vaincus et dépouillés, soient- forcés un jour de retourner dans les
contrées sauvages et lointaines d’où ils ne seraient jamais sortis
peut - être si les Grecs avaient su conserver les. vertus de leurs
pères.
Nous contemplâmes long-tems , au nord - ouest de la ville, la
citadelle
citadelle bâtie sur une masse de rochers escarpés, avancés dans la
mer. Nous marchâmes quelque tems sur un chemin montueux et
pénible , et nous arrivâmes sur la plage d’A rmiro, après avoir
traversé une petite rivière qui coule au bas de la montagne. Au-
delà de la plage, nous vîmes deux belles sources , l’une d’eau
salée; l’autre, plus considérable, d’eau douce : plus loin se trouve
le fort d’Armiro, bâti par les Vénitiens, pour défendre une gorge,
et empêcher que des pirates ou des ennemis, qui feraient une
descente à la plage, ne pussent pénétrer p a r - là dans l’intérieur
des terres.
Nous nous élevâmes ensuite peu à peu, et nous nous trouvâmes
au pied de la montagne Malaxa (MaÀctÇa), en vue du golfe de la
Sude. Cette montagne est schisteuse et granitique à sa base, tandis
que toutes celles que nous avions vues jusqu’alors, nous avaient
paru calcaires et la plupart crétacées.
En côtoyant la montagne, dont la direction est de l’est à l’ouest,
nous passâmes, sans nous en douter, à portée des ruines d’Am-
phimale, dont nous aurons bientôt occasion de parler.
Nous descendîmes par un chemin pavé, dans une plaine fertile,
assez bien cultivée. Nous passâmes à peu de distance du golfe do
la Sude, et nous arrivâmes de bonne heure à la Canée, bien moins
ennuyés de là longueur de la route, que fatigués de la chaleur
excessive que nous avions éprouvée.
Le citoyen Mure, qui nous attendait depuis long - tems , ne
voulut pas permettre que nous fussions loger au couvent des
capucins, attendu la conduite indécente que se permettait, A
l’égard des F rançais, un moine italien à qui la maison était confiée.
Nous le remercions ici de son attention à Ce sujet, des honnêtetés
que nous avons reçues chez lu i , et des renseignemens précieux
qü’il nous a donnés. Nous devons aussi au citoyen Magalon,
négociant, des détails intéressans sur les productions de l’île, sur
le commerce qui s’y fa it, sur la population des campagnes et sur
quelques, usages qui s’y sont établis.
La Canée, beaucoup moins étendue que Candie, est en proportion
plus peuplée. On y compte plus de quatre mille Turcs,
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