n’avoir aucune connaissance militaire, pourvu qu’ils aient un rang
plus distingué, une plus grande autorité, et qu’ils soient à portée
d’acquérir de grandes richesses ? Ils ne sont pas arrêtés non plus
par le mépris que leur témoignent les gens de guerre, et par les
sarcasmes fréquens qu’ils se permettent à leur égard, souvent même
en leur présence.
L ’administration des fondations pieuses, nommées vakfs ou
va cou fs, occupe un grand nombre de gens de plume, et leur, procure
un état bien plus lucratif qu’honorable. La superstition , le
zèle religieux et surtout la loi tyrannique des confiscations ont fait
convertir en vacoufs une grande partie des propriétés. Sans parler
de ces vastes domaines concédés au culte religieux, de ces villages,
, bourgs et contrées dont les produits sont affectés aux mosquées,
un grand nombre de particuliers leur cèdent pendant leur vie ou
leur lèguent après leur mort une partie ou la totalité de leur fortune.
Mais, guidés plus souvent par des motifs d’intérêt que par
un sentiment religieux, ils font donation de leur propriété,
moyennant une somme modique qu’ils reçoivent de la mosquée
et une redevance annuelle qu’ils se soumettent de lui payer. La
jouissance reste au donataire jusqu’à l’extinction des héritiers de
droit, dans un ordre désigné par l ’acte.
L ’intention du fondateur, dans ce cas , n’a d’autre objet que de
mettre sous la sauve-garde de la religion, jusqu’à présent respectée
par les sultans , une propriété qu’il est bien aise de conserver et
de transmettre à ses enfans. Mais comme tôt ou ta rd , par le défaut
d’héritiers, les biens vacoufs restent dévolus aux mosquées,
si la loi n’arrête ces donations, ou si le gouvernement un jour ne
se les approprie, presque tous les immeubles de l’Empire finiront
par être affectés au culte religieux ou voués à des établissemens
pieux.
Aucune fondation n’a lieu sans qu’il y ait un mutevelli ou administrateur
et un nazir ou inspecteur, l ’un pour l’emploi des
deniers suivant l’intention du fondateur, et l’autre pour la surveillance
et la vérification des comptes. Mais, dans un pays où il
est si rare de trouver un homme qui résiste au désir de s’approprier
un argent qui lui passe par les mains , et dont il n’a à rendre
compte qu’à sa conscience et à un inspecteur aussi fripon que lui,
personne ne doute que le mutevelli et le nazir ne s’entendent
entr’e u x , ne partagent ce qu’ils peuvent soustraire, et ne s’approprient
annuellement des sommes plus ou moins considérables ,
suivant l’importance des fondations qu’ils sont chargés d’administrer
et de surveiller.
Peu satisfaits du droit qui leur est adjugé par le fondateur, ils
croient pouvoir excuser leur criminelle conduite par l ’inutilité des
revenus qui excèdent l’emploi qu’on en doit fa ire , ou peut-être
regardent-ils comme indifférent à l’esprit de la fondation de retenir
pour eux cet excédant, au lieu de le distribuer aux pauvres,
de faire des épargnes ou d’améliorer le capital.
La plupart des fondateurs , dans la double intention de transmettre
à leurs héritiers un revenu certain à l ’abri de la main
rapace du fisc, et de ne point engraisser des administrateurs et des
inspecteurs étrangers, nomment et désignent ces agens dans leur
famille. Ils ont l’attention, s’ils tiennent au gouvernement , de
disposer réellement des deux tiers du revenu de la propriété qu’ils
établissent ; va cou f, sans quoi le gouvernement, qui reconnaîtrait
l’intention formelle de le priver d’un immeuble dont il devait
hériter, se l’approprierait en totalité, au préjudice même de la
mosquée désignée par l ’acte de donation.