lorsque nous appareillâmes sous l’escortê du vaisseau le Duquesne>
de 74, commandé par le capitaine Vence ; de la frégate la Sibylle ,
de 4° j de la frégate la S érieu se, et des corvettes la Sensible et
le Rossignol. Le vent se soutint pendant quelques jours dans la
même partie, de sorte que bientôt nous reconnûmes la côte occidentale
de la Sardaigne, et peu après celle d’Afrique. La mer était
si grosse , que presque tous les passagers furent sur les cadres. Je
fus très-malade jusqu’à lafflauteur de Malte, et incommodé de tems
en tems du mal de mer pendant toute la traversée.
Il y avait à peine huit jours que nous étions partis de Toulon,
lorsque nous découvrîmes, d’un côté , la côte méridionale de la
Sicile, et de l’autre , Goze et Malte. Après avoir dépassé ce canal,
le tems devint plus beau, la mer fut moins agitée , le vent faiblit,
mais il continua de souffler de la partie nord-ouest. Nous vîmes
quelques diseaux de passage, tels que des cailles, des tourterelles ,
venir se reposer sur les cordages du navire. Le douzième jour nous
aperçûmes l ’île de SapienCe et les montagnes de la Morée, et avant
la nuit nous reconnûmes le cap Matapan ; le treizième, nous nous
trouvâmes entre Cerigo et l’île de Crète. Ce fut là que le Duquesne
nous quitta pour retourner à Toulon, et que le capitaine Rondeau
prît le commandement du convoi. Le lendemain nous aperçûmes
de fort loin les montagnes de l ’île de Crète , désignées par les marins
, sous le nom des Monts-Blancs.
Une partie du convoi destiné pour l ’Egypte et pour la Syrie se
sépara de n o u s , sous l’escorte de la Sérieuse , et prit sa route à
l ’e s t , tandis que nous dirigeâmes au nord. Nous n’étions en mer
que depuis quinze jours, lorsque nous nous trouvâmes, au coucher
du soleil, près de l’entrée du port de Milo. Le vent était au nord i
nous crûmes, pendant quelque tems , que nous allions mouiller
dans le port de cette île 5 mais nous reconnûmes notre erreur au
signal qui fut fait de louvoyer, en attendant que le capitaine Rondeau
eût reçu , à son bord, un pilote de cette île.
Le gouvernement français entretenait à Milo et à l ’Argentière ,
de vieux marins pour servir de pilotes aux vaisseaux de guerre qui
‘arrivaient dans ces parages difficiles. Il était expressément défendu
aux capitaines de négliger une précaution d’où pouvait dépendre
le salut du vaisseau , dans une mer parsemée d’écueils, orageuse
en hiver, assez étroite pour qu’on soit obligé quelquefois de gagner
un port ou de se mettre à l’abri d’un coup de v e n t , dans une anse
ou derrière quelque île. Il faut, dans ce cas, qu’une longue expérience
ait appris les passages que l’on peut tenter, les dangers que
l’on doit éviter, et que l’on connaisse, par la sonde, tous les mouillages
où l’on peut aller jeter l’ancre sans s’exposer à périr.
Le seizième jour , le vent ayant tourné au sud, nous nous trouvâmes
sur l’île de Cherpho : nous avions derrière nous l’écueil de
la Fauconière , et l’île de Siphante nous restait au sud-est. Nous
passâmes, dans la soirée, entre les îles de Zéa et de Thermie ; le dix-
septième, nous dirigeâmes sur le cap Doro. Bientôt nous laissâmes
en arrière Andros et Tine , si voisines l’une de l’autre , qu’elles
nous paraissaient se confondre ; le dix-huitième, nous dépassâmes
Ipsera, et nous vînmes reconnaître Mételin. Le vent continuait à
souffler légèrement de la partie du sud ; le tems était très-beau :
dans la matinée , les navires destinés pour Smyrne, sous l’escorte
de la S ib y lle, s’étaient dirigés à l’est ; ceux pour Salonique , sous
l ’escorte de la Sensible, avaient pris leur route à l ’ouest-nord-ouest :
nous continuâmes, au nombre de trois , la nôtre pour Constanti-
nople, sous Fescorte du Rossignol.
Notre navire était si mauvais voilier, que jusqu’alors nous avions
été con stamment les derniers du convoi, et que les corvettes venaient
souvent nous remorquer. Notre état-major, le plus grossier et le
plus ignorant de tous les marins du midi de la France, vomissait ,
dans ces cas , un torrent d’injures si sales et si dégoûtantes , que
nous étions obligés d’aller nous enfermer pour ne pas les entendre j
du reste, tant le capitaine que le lieutenant, et surtout le subre-
cargue, se conduisirent avec la plus grande indécence vis-à-vis tous
les passagers que le gouvernement envoyait dans le Levant, injuriant
les uns, menaçant les autres , les mettant tous à la diète la
plus sévère, quoique les provisions fussent assez abondantes à bord ,
et que le prix accordé pour notre passage et notre nourriture fût
au dessus du prix ordinaire.