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 Grecs.  Les  parens  et  les  amis  du  défunt  croient  de  leur  
 devoir  et  de  leur  honneur  d’assassiner  à  leur  tour  les  premiers  
 habitans  qui  se  présentent à  eux ;  et  quoique  la  loi ne  les  y  autorise  
 pas  et  doive  même  les  punir,  l’opinion  populaire  les  absout  
 presque  toujours. 
 Si  le  Grec  a  commis  un  délit  grave,  ou  s’il  en  est  accusé,  ce  
 qui  revient  à  peu  près  au même,  le  pacha  intervient,  demande le  
 coupable pour  le  faire  juger  et condamner.  Il  doit  s’adresser pour  
 cela  à  l ’aga ,  qui  le  livre  sur  le  champ  ou  le  défend  jusqu’après  
 la  sentence  du  cadi.  Le  Grec  se  tire  souvent  d’un  mauvais  pas,  
 moyennant  des  arrangemens  qu’il  prend  avec  son  aga,  et  des  sacrifices  
 qu’il  fait  envers  lui  et  le  pacha.  Celui  qui  n’a  rien,  paie  
 de  sa  tê te5  celui  qui possède  quelque  chose,  est  sans  cesse  exposé  
 à  la  perdre,  comme  on  voit  :  cela  dépend de  la  volonté  de  l ’aga,  
 et  souvent  aussi  de  celle  du  soubachi. 
 Avec  tous  les  moyens  que  la  loi  du  plus  fort  a  mis  entre  les  
 mains  de  l’aga,  on  se doute  bien qu’il ne manque  pas d’en abuser,  
 et  de  pressurer  tant  qu’il  peut  les  malheureux  cultivateurs.  Il  
 achète,  par  exemple,  à  bas  prix  leurs  denrées  ( le  vin  ex cep té),  
 qu’il ne paie  ordinairement  qu’après  la  vente  qu’il  en  a  faite  et le  
 bénéfice  considérable qu’il  en a retiré.  , 
 Tout  ce  que  je  viens  de  dire  ne  s’applique  qu’aux  villages  grecs  
 soumis  à  des  agas.  Ceux  qui  appartiennent  â  des  mosquées  ou  à  
 la  sultane-mère,  sont  un  pèu  moins  vexés  que  les  autres,  parce  
 que  les  cultivateurs peuvent faire entendre  leurs plaintes  à  la  sultane  
 nu  aux  inspecteurs  des mosquées,  intéressés  à  les  protéger  
 contre  les  agens  qu’ils  emploient  pour  le  recouvrement  de  leurs  
 droits.  Les  villages  turcs  sont,  comme  ceux  des  Grecs,  soumis  à  
 la  police  de  l’aga.  Les  propriétés  paient  de  même ;  mais  ils  sont  
 exempts  des. corvées,  et l’aga  serait  bientôt déplacé  et puni  si tous  
 les  habitans  portaient  à  la  fois  leurs  plaintes  au  pacha  ou  à  la  
 Porte,  contre quelqu’injustice  trop  révoltante. 
 Il  est  inutile  de  répéter  ici  que  les  Grecs  ne  peuvent  occuper  
 des  emplois  émanés  du gouvernement,  ni  être  admis  dans  aucun 
 corps  de  troupe,  à  moins  qu’ils  n’aient  embrassé  la  religion  de  
 Mahomet. 
 C’est  ainsi  qu’est gouvernée  aujourd’hui  l ’île, qui  a  si  long-tems  
 prospéré  sous les  lois  de Minos  :  c’est  ainsi  que. les  habitans  d’un  
 pays  où  la  liberté  a  pour  ainsi  dire  pris  naissance,  sont  courbés  
 sous  le  joug  du  plus  honteux  esclavage, .malgré  la  mer  qui  les  
 entoure et les montagnes  qui  les  défendent. 
 •  Soumis aux lois qu’un roi vertueux leur avait présentées  au nom  
 de  la  Divinité  qui  l ’inspirait  sans  doute,  les Crétois  furent sages et  
 heureux;  ils  le  furent  lorsque,  satisfaits  du nécessaire,  ils  cherchèrent  
 uniquement leurs  subsistances  dans le  sein de la terre qu’ils  
 cultivaient  eux-mêmes,  et  dans  le  produit  des  troupeaux  qu’ils  
 élevaient  sur  les montagnes  dont l’île  est couverte. 
 Mais  lorsqu’ils  voulurent  se  procurer  des superfluités,  lorsqu’ils  
 modifièrent  ou  changèrent  les  lois  de  leur  législateur,  lorsque  
 chaque  cité voulut former un  état indépendant; lorsque les riches,  
 long-tems  en  lutte  avec  les  pauvres,  parvinrent  à  s’emparer  du  
 pouvoir,  alors  on  distingua  les  citoyens  destinés  à  défendre  la  
 patrie,  de  ceux qui  devaient la nourrir ;  alors  les  champs  ne furent  
 plus  cultivés  que  de  la main  des  esclaves;  l’éducation  privée  et les  
 institutions publiques  tendirent encore  toutes, à la vérité,  à rendre  
 l ’homme  robuste  et  adroit  ,  courageux  et  intrépide  y  mais  les  
 moeurs  se relâchèrent,  l ’esprit  public  s’affaiblit,  l’autorité  des  lois  
 fut  souvent méconnue..Les  Crétois,  devenus  inquiets etturbulens,  
 ambitieux  et  avides,  firent  des  guerres  injustes ,  pillèrent  leurs  
 voisins  et  se  détruisirent  les  uns  les  autres.  Bientôt  le  champ  de  
 leur brigandage n’étant plus  assez  vaste,  ils  infestèrent les mers  de  ' 
 leurs  navires,  troublèrent  la  tranquillité  des  peuples  de  l’Archip 
 e l,  inquiétèrent  leur  commerce  :  ils  allaient  le  détruire  si  les  
 .Rhodiens  n’eussent  armé  pour  la  défense  de  tous,  et  ne  fussent  
 parvenus  à  brûler,  submerger  ou  dissiper  pour  quelque  tems les  
 flottes  de  ces  pirates. 
 .  Ce  ne  fut plus  dès-lors  l ’amour  de  la  liberté  qui  soutint  encore  
 quelques  instans  les  Crétois  dégénérés;  ce  fut  l’amour  de  l ’indépendance  
 ;  ce  fut  un  reste  de  leur  ancienne  valeur  ;  ce  fut  lé