C H A P I T R E X X I I.
Séjour aux Dardanelles. Description de I'Hellespont et
des villes situées sur ses rives. Productions: et com- ,
merce de ces contrées.
I j H e l l e s p o n t ou la mer d ’Hellé, ainsi nommé parce que cette
princesse, fille d A thamas, roi de Thèbes, voulant se dérober,
avec son frère Phryxus, aux persécutions d’Ino leur marâtre, et
se rendre dans la Colchidè, eut le. malheur de s’y noyer. On dit
que, montée avec son frère sur un bélier couvert d’une toison d’or
au lieu de laine, elle osa traverser le canal qui sépare la Thrace de
la Troade ; mais lorsqu’elle se vit au milieu des eaux, elle fut si
effrayée du danger auquel elle s’était imprudemment exposée,
qu’elle se laissa tomber dans la mer, où elle trouva la mort qu’elle
cherchait à éviter. Les Grecs, touchés de ses malheurs , pour
éterniser le souvenir de ce naufrage , -donnèrent le nom de cette
infortunée princesse au bras de mer dans* lequel elle périt.
Cette mer est plus connue aujourd’hui sous le nom de D étro it
ou Canal des D ardanelles, parce que la ville moderne à laquelle
nous venons d’aborder, est nommée par les Européens, les D a rda
n elles; nom qui lui est transmis de l’ancienne D ardana, D ar-
dania ou Dardanus, située à quelques milles,plus bas; car selon
les géographes anciens, elle était à huit milles au sud d’A bydos,
vers le cap T rap eza , vulgairement désigné sous le nom de pointe
des barbiers. Le fleuve Rhodius, sur lequel est bâtie la ville moderne,
coulait à une distance à peu près égale d’A by dos et de
Dardanus.
Cette ville compte à peine quatre mille habitans grecs, musulmans
et juifs. Sa position est agréable, son territoire est fertile et
ses productions sont très-variées. On voit, au nord-est, un côteau
couvert de vignes ; au sud , une plaine terminée par une montagne
peu élevée ; cette plaine s’étend à l ’est, et forme ensuite une.
vallée
vallée ëxtrêmement fertile, arrosée par le Rhodius. Au fond de
Cette vallée on trouve des indices de volcan : on y voit entr’autres
des blocS considérables de granit, dont la partie quartzeusé est
presque toute convertie en verre. Il y a un peu plus loin un bassin
fertile, peu étendu, entouré de montagnes couvertes de bois.
On cultive dans le territoire des Dardanelles, le coton, le
sésame, diverses plantes potagères, la vigne, l’olivier, plusieurs
arbres fruitiers. L ’oranger commence à croître ici en plein vent/
On y recueille une assez grande quantité de grains. Les montagnes
voisines fournissent la vélanède et la gale du commerce.
Les eaux de l’Hellespont ont un courant rapide vis-à-vis le châ-j
teau situé à ^extrémité inférieure de la villef; tandis qu’elles sont
tranquilles ou qu’elles remontent dans l ’anse qui se trouve à la
partie supérieure et qui sert de port aux bateaux que le commerce
y amène, ainsi qu’aux navires et aux vaisseaux de guerre qui
viennent y mouiller quelquefois. Les capitaines de ces deux derniers
préfèrent cependant, tant en hiver qu’en été, le motdllage.de
Nagara, parce qu’ils sont plus à l’abri du vent de nord, et parce
que le fond eh est meilleur.
L ’Hellespont ressemble au premier aspect, à un flauve majestueux
qui, porte tranquillement ses eaux à l’Océan mais contenu dans
son l i t , on ne lui voit jamais franchir les limites que la nature lui
a tracées. On ne voit pas ici ces crues dévastatrices auxquelles sont
exposées trop souvent les contrées que les grands fleuves parcourent.
On ne rencontre pas non plus,, : aux environs , > ces marécages
infects, ces eaux croupissantes si ordinaires vers l ’embouchure
des fleuves : ici les terres sont cultivées, ou se couvrent
naturellement de verdure jusqu’auprès des eaux. Et si les rives de
l’Hellespont ne sont pas fécondées par des canaux d’irrigation, si
les eaux ne vont pas- déposer sur les‘ terres un limon bienfaisant,
les communications qu’il établit entre la Propontide, le Pont-Euxin
d’un côté , 1a Méditerranée et l’Océan de l ’autre, les avantages que
l’industrie et l ’agriculture peuvent retirer de la facilité des transports,
sont des bienfaits plus grands peut-être que ceux qui résulteraient,
pour ces contrées, d u voisinage d’un grand fleuve.
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