moyen d’exprimer son mécontentement sur la cherté des vivres,
sur les abus d’autorité, sur un déni de justice, sur les innovations
que le gouvernement veut introduire : l’histoire nous en offre
plusieurs exemples. Nous dirons ailleurs avec quelques détails
comment les Tiirc s, à Smyrne, se vengèrent de l ’assassinat d’un
janissaire, en portant le fer et la flamme dans le quartier des
Européens, en massacrant indistinctement les Grecs, les Arméniens
et les Juifs qu’ils rencontrèrent dans les rues. L ’incendie de
Péra, qui eut lieu l’an 7 , est attribué, par ceux qui,en furent les
témoins, à l’expédition des Français en Egypte, et plus encore à
l ’alliance monstrueuse de la Porte avec la Russie.
A l ’aspect de cette multitude de chiens que l ’on rencontre dans
les rues de la capitale, à leur maigreur excessive, à la faim qui les
tourmente, on serait porté à croire qu’indépendamment de la peste,
des incendies, des gens de guerre qui désolent cette v ille , la rage
doit se mêler à ces fléaux et causer à son tour bien des ravages
.* chez un peuple imprévoyant : on se tromperait, car «’il faut en
croire les voyageurs, le témoignage des habitans et l ’opinion d’un
grand nombre de médecins que j’ai consultés à ce sujet, la rage
est totalement inconnue dans l’Orient. Il paraît que cette maladie
est aussi étrangère à ces contrées, que la peste 1 est à la partie de
l ’Europe que nous habitons; et je ne crois pas que, dans aucune
circonstance, ni l’une ni l’autre puissent se montrer spontanément,
quels que soient l’état de l ’atmosphère , la qualité et la quantité
des alimens , le voisinage de lieux infects - il faut nécessairement
qu’un chien soit mordu d’un autre chien ou de tout autre animal
affligé de cette maladie, pour que la rage se manifeste chez lu i ,
comme il faut communiquer avec des pestiférés ou toucher les
objets auxquels ils ont transmis leur venin, pour être atteints de 1g
•peste. La vérole nous offre un exemple plus frappant des maladies
que l’on ne peut attribuer à d’autres causes qu’à un contact avec
des personnes malades. Mais ce n’est pas ici le lieu de traiter de
/,Ja rage : il nous suffit de faire remarquer qu’elle est inconnue dans
l ’Empire othoman,, quoique les diverses causes auxquelles les
médecins l’attribuent, existent en Turquie presque toutes à. un. degre
-plus éminent qu’en Euitbpé'
En effet, les chiens y sont plus nombreux; et comme ils n’appartiennent
à personne, ils y souffrent plus que dans nos contrées,
dé la faim et de la soif : le climat est beaucoup plus chaud que le
nôtre, et le froid est assez v if à Constantinople , à Andrinople 7
pour que ces animaux, à qui l’entrée des maisons est interdite , le
ressentent encore plus , pendant la n u it , que ceux des contrées
septentrionales de l’Europe. Ceux-ci, comme on sait, peuvent se
garantir jusqu’à un certain point des intempéries des saisons, auxquelles
les chiens de la Turquie sont exposés sans cesse.
Quoique les Musulmans regardent les chiens comme des animaux
immondes , au point qu’ils évitent de les toucher et qu’ils
les empêchent d’entrer dans leurs maisons, ils les laissent cependant
se multiplier considérablement dans la plupart des villes ,
parce qu’ils croient que leurs fientes sont très-propres à la préparation
et à la teinture des maroquins : on ne pourrait même, à les
en croire, remplacer cette matière par une autre. L ’avantage qu’ils
retirent encore de ces animaux, c’est qu’ils nétoient les rues des
charognes et autres immondices qu’on y jette sans cesse.
La charité des Turcs à leur égard consiste à leur donner quelquefois
du pain et ce qu’ils ne peuvent consumer, à leur distribuer
chaque jour le foie ,1 e poumon, les entrailles et la tête des moutons
que l’on tue aux boucheries, parce qu’ils ne font jamais usagé
de ces alimens proscrits par leur religion , et que les Chrétiens ,
à leur exemple, n’osent en manger. On voit tous les jours dans les
rues des hommes qui portent sur une longue perche un grand,
nombre de ces foies et de ces poumons , pour les vendre un ou
deux sous aux dévots ou aux riches qui veulent en régaler les chiens
de leurs quartiers.
Il y en a qui font construire, près la porte de leurs maisons, des
huttes pour y loger les femelles et leurs petits : ils y portent de la
paille, et leur donnent chaque jour du pain ou de la viande. Oh
dit même que quelques-uns ont fa it, en mourant, dès legs pour là
nourriture d’un certain nombre de ces animaux.
La police que les chiens exercent entr’eux est très-sévère : divisés
par troupes plus ou moins nombreuses, suivant la quantité de
subsistances qu’offre un quartier , ils fréquentent toujours les