C H A P I T R E X X I .
Départ de Constantinople pour le golfe de Mundania.
Séjour à Ghemlek. Chantier turc. Bois de construction.
Culture. Histoire naturelle. Iles de la Propontide.
Gallipoli. Lampsaque. Arrivée aux Dardanelles.
L es événemens qui s’étaient succédés avec rapidité depuis notre
départ de Paris, ayant fait perdre de vue l’objet principal de notre
mission, le parti qui nous parut le plus sage, dès les premiers jours
de notre arrivée dans le Levant, fut de demander notre rappel en
France, ou l’autorisation formelle de quitter Constantinople; de
porter nos pas sur les rives méridionales de la Mer - Noire ; nous
rendre par l’Arménie, la Géorgie, le Guilan ou le Chirvan, sur les
bords de la Caspienne ; parcourir ensuite la Perse du nord au sud,
et revenir en France par le golfe Persique, Bassora, Bagdat, Alep
et la Syrie. Nous attendions en vain, depuis six mois, què l’envoyé
extraordinaire de la République fût autorisé à nous fournir
les moyens nécessaires à l’exécution de ce voyage. Nous étions dans
la plus vive impatience de parcourir une des plus intéressantes
parties de notre globe, sous les rapports de l’histoire naturelle, de
la géographie, de l’histoire ancienne et moderne , du commerce,
etc. lorsque nous reçûmes la nouvelle de l ’arrestation du citoyen
Semonville, sur le territoire neutre des Grisons, par une des puissances
ennemies de la France.
Il est bien certain que 1M iv é e , à Constantinople, d’un ambassadeur
de la République eût adouci le sort des Français , calmé
leurs inquiétudes, rendu la Porte plus circonspecte, et nous eût
retirés de l ’incertitude dans laquelle nous étions depuis notre départ
de Paris. Le citoyen Semonville, avec lequel nous avions conféré
plusieurs fois à Marseille, connaissait les vues du gouvernement
à notre égard ; il savait quel était l ’objet primitif de notre
mission ; il n’ignorait pas toute l’importance que le conseil exécutif
provisoire attachait à nos relations politiques et commerciales avec
l’Empire othoman,' et combien il espérait ; dans les circonstances,
retirer d’avantages d’une union plus intime avec les Turcs.
Ne recevant point de réponse aux différentes lettres que nous
avions adressées au gouvernement , nmis résolûmes d’aller passer
l’hiver aux Dardanelles ou dans les îles de la Grèce, loin des agitations
et- des tracasseries que les diverses nuances d’opinions politiques
avaient fait maître parmi les Français, et dont nous avions
été malgré nous les témoins. Ce qui nous détermina à prendre ce
pa r ti, c’est que nous nous trouvions de là à portée de retourner en
France si nous étions rappelés, ou de nous rendre dans telle contrée
de l’Empire othoman ou le gouvernement jugerait désormais né-*
cessaire de nous envoyer.
Nous reçûmes, du citoyen Descorches, toutes les facilités que
son état précaire lui permettait, et nous partîmes de Constantinople
le 6 frimaire an 2 , sur un navire ragusais, nolisé par un négociant
français. Le capitaine avait ordre d’aller mouiller dans le
golfe de Mundania, pour y prendre quelques bàlots de soie que
l ’on devait lui envoyer de Brousse. Il devait faire voile de là pour
Smyrne, et nous laisser, en passant, aux Dardanelles , où nous
avions l’intention de séjourner quelque tems.
La journée était belle, la température de l’air fort douce et la mer
parfaitement calme : le vent, au sud depuis huit jours, avait cessé
de se faire sentir, et paraissait devoir tourner au nord : le capitaine
profita du premier souffle favorable pour mettre à la voile. Nous
partîmes à midi de Galata, et nous vînmes mouiller, au coucher du
soleil, devant le village de Prinkipos. Le vent étant faible et variable,
nous restâmes deux jours au mouillage, pendant lesquels
nous nous occupâmes à tu e r , du bord, quelques plongeons, à
chasser, dans l’île , aux bécasses e t aux perdrix rouges, et à ramasser,
pour notre collection, des graines, des lichens et quelques
plantes tardives.
Le 9 , le vent étant décidément au nord-nord-est, nous fîmes
voile, à sept heures du matin, pour le golfe de Mundania : nous
étiops, à d ix , à une lieue de la côte située entre ce golfe et celui
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