l’ancienne Grèce. Le port austral est ouvert et se présente au
sud-est : il est un peu moins étendu et moins profond que l ’autre :
il n’y a que les bateaux du pays qui puissent y mouiller, tandis
que le port boréal peut recevoir de petits bâtimens marchands. Les
vaisseaux de guerre et les navires européens que le commerce attire
à Mitylène, mouillent en été devant le port austral ; mais ils ne s’y
exposent guère en hiver, parce qu’il survient quelquefois dans cette
saison, des coups de vent de nord-est très-impétueux, qui pourraient
les faire périr ou les obliger de couper leurs cables et de
mettre promptement à la voile.
Il y avait autrefois un canal de communication entre ces deux
ports, qui séparait la langue de terre dont je viens de parler, et
en formait une île , sur laquelle était bâtie une partie de la ville.
Le tems a,comblé le canal; mais il n’a pu détruire la jetée qui
partait de la petite île, et mettait le port septentrional à l’abri du
plus mauvais tems.
Mitylène, nommée aujourd’hui Castro ou Mételin, contient
deux ou trois mille Grecs, trois ou quatre mille T u rcs, et trente
ou quarante familles juives. La citadelle est spacieuse, garnie de
canons en assez bon é tat, et défendue par cinq ou six cents janissaires,
presque tous mariés et domiciliés. I l y a dans l’intérieur,
deux mosquées et un grand nombre de maisons occupées par cette
milice. La ville moderne s’étend en demi-cercle le long du port
septentrional, sur une partie du terrain qu’occupait l’ancienne ville.
Les tronçons de colonne employés dans les édifices, les débris de
chapiteaux, les ffagmens de marbre et de granit qu’on voit partout,
attestent son importance et montrent le rang qu’elle occupait
autrefois. On voit encore quelques restes d’inscriptions que des
voyageurs nous ont transmises. Il y a dans la cour du couvent grec
où nous couchâmes, une chaise de marbre b lan c , sur laquelle
on lit :
Ü O T A M Û N O Z
A E X Ï O N A K T O S
n r O E A P I A
Siège d e Potamon , fils de L esbonax.
Ce Potamon, né à Mitylène, était un rhéteur distingué, qui vivait
à Rome sous l’empereur Tibère. Voulant retourner dans sa patrie
et y établir une chaire d’éloquence, il obtint de Tibère, des lettres
dans lesquelles il était dit expressément que quiconque oserait
insulter Potamon , insulterait en sa personne l’empereur lui-
même (1). • -
Lesbos a gémi long-tems sous des tyrans particuliers, et n’a joui
que par intervalles des charmes de la liberté. Cette île a successivement
passé sous la domination des Perses, sous celle des Greos et
des Romains. Les croisés s’y sont établis un instant, et des Génois
en étaient les maîtres lorsque l’Empire d’Orient est tombé entre les
mains des Turcs.
Tandis que les Grecs se déchiraient entr’eux pour dés opinions
religieuses, aussi absurdes qu’incompréhensibles, tandis que des
ambitieux agitaient la capitale et les provinces pour arriver plus
promptement au trône, les Turcs, d’un côté, s’emparaient des plus
belles provinces de l’Asie et menaçaient Constantinople ; deux!
peuples navigateurs, de l’autre, s’établissaient peu à peu dans les
îles de l’A rchipel, dans la plupart des villes maritimes du Pont-
E u xin , sur le Bosphore et jusque dans Galata, un des faubourgs de
la capitale. Les mers du Levant étaient couvertes de leurs navires ,•
et les productions’ de l’Orient ne passaient déjà plus que par leurs
mains.
Lesbos était sous la domination des Génois lorsque Mahomet II1,
dix ans après la prise de Constantinople , équipa une flotte considérable
pour s’en rendre maître. Mitylène, Métliymne et la plupart
des places de cette île étaient bien fortifiées : les chevaliers
de Rhodes avaient eu le tems de faire passer quelques secours dans
la première, et les habitans, qui connaissaient les cruautés que les
Turcs avaient commises à la prise de Constantinople, étaient bien
disposés à défendre leur vie. Les forces othomanes, quoique très-
considérables, auraient indubitablement échoué contre quelques
milliers de braves, si le prince, nommé G a ttilu sio , avait eu le
(1) Hesychius , de viris claris.