C H A P I T R E X X V I I .
D é p a r t d e S c io . S é jo u r à T c h e sm é , à T in e , à A n d r o s ,
à M y c o n i à D é lo s , à N a x i e , à P a r a s , à A n ti-
p a t o s .
A p r ès avoir inutilement attendu à Scio, pendant trois mois, des
nouvelles de Paris ; après avoir transmis au citoyen Descorches
quelques réflexions sur les contrées intéressantes que nous venions
de parcourir, nous résolûmes de nous rendre en Crète, et d’observer
, chemin faisant, les îles et les points importans qui sè trouveraient
sur notre route : nous partîmes en conséquence le 21 flor
éa l, sur un bateau grec que nous venions de noliser, et dans
quatre heures nous arrivâmes à Tchesmé, petite ville d’Asie, située
presqu’en face de Scio, au Fond d’une rade spacieuse à laquelle
l’art n’a pas eu besoin d’ajouter pour en faire un bon port. Une
citadelle assez vaste, construite par les Génois, s’étend en pente
jusqu’au rivage de la m e r , et semble devoir garantir de toute
insulte, et le p o r t, et la ville.
Tchesmé est bâti sur les ruines de Çyssus. Sa rade, fameuse
autrefois par la victoire qu’y remporta la flotte des Romains sur
celle d’Antiochus, né l ’est pas moins, de nos jours, par l’incendie
et la destruction totale de l ’escadre turque, qui eut lieu en 1770.
Mais les Romains profitèrent de leur victoire, tandis que lés Russes,
maîtres de la mer et secondés par un bon vent, n’osèrent, après
cet événement, franchir l’Hellespont et venir sous les murs du
sérail dicter à Mustapha les conditions de paix qu’ils auraient pu
lui imposer.
Les géographes placent au fond d’une baie, à deux ou trois lieues
au nord de Tchesmé, l’ancienne Erythrée , célèbre par les oracles
de la Sibylle ; je voulus m’y rendre à pied, pendant que mon collègue
faisait acheter, à Tchesmé, les provisions qui nous étaient
nécessaires. Je laissai à droite la ville et quelques côteaux calcaires,
crétacés; je parcourus un terrain inégal, des champs cultivés, des
côteaux incultes, et après une heure de marche je me trouvai dans
une plaine qui aboutit à la baie dont je viens de parler. Je v is , à
peu de distanee de la mer, une source assez abondante, dont l'eau
était âcre et brûlante : les environs présentaient du sel marin. Un
mauvais bâtiment se trouvait à côté dé la Source : on me dit qu’il
y a des bassins où l’on peut se baigner ; je veux y entrer ; j’aperçois
des Turcs ; je me retire et m’achemine vers la mer. Un instant
après je vois deux d’entr’eu x , le yatagan à la main, s’avançant
vers moi, me menaçant et me traitant de chien et & infidèle. Je
n’avais qu’un domestique g r e c , peu capable de me seconder,
quoique fort comme Hercule ; mais j’avais une canne à épée : elle
valait mieux. Je degaîne aussitôt, et d’une voix ferme et imposante
, je leur fis dire que s’ils ne' se retiraient à l’instant, je leur
ferais donner, en ma présence, cinq cents coups de bâton par
l ’aga de Tchesmé. Cette menace.et surtout mon épée firent changer
de ton à ces Turcs. C’est un fo u , c’est un Français, se dirent-ils;
laissons-le tranquille.
■Je ne crus pas prudent d’aller voir les ruines d’Érythrée. Je
ramassai plusieurs plantes intéressantes, et je revins au port.
Le territoire de Tchesmé fournit des grains et des fruits en abondance
: 6n y récolte un peu d’huile et beaucoup de raisins secs.
C’est de ce port que Scio tire une grande partie de ses subsistances,
et qu’il entretient souvent des relations avec Smyrne.
Le lendemain 22 , nous fîmes voile pour Naxie avec un léger
vent de nord. Nous suivîmes la côte d ’Asie ; nous laissâmes à
droite deux petites îles désertes, à gauche le Cap-Blanc ; nous
vîmes, au sud de Scio, l ’îlot nommé Vénético. Nous apercevions
distinctement devant n o u s , Andros, T in e , Myconi, Nicarie et
Samos : notre bateau dirigeait vers Myconi, où nous espérions
arriver avant la nuit ; mais vers les quatre heures du soir il parut,
au nord-ouest, quelques nuages qui grossirent et s’avancèrent vers
nous. Nos mariniers inquiets craignaient une bourasque; elle a rriva
: le vent nord-ouest fut violent, mais de courte durée. Notre
bateau était bon., peu chargé. On nous mit à fond de cale, on
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