Quelques savans ont voulu prouver que la guerre dont parle
Homère, n’a point eu lieu ; ils ajoutent que Troye n’a jamais existé,
et que l'Ilia d e entière est un roman. L ’objet de nos recherches , en
parcourant ces contrées, n’était pas de savoir si l’on doit regarder
comme une fable embellie des charmes de la poésie, ou comme un
trait historique considérablement altéré, cette guerre longue et
cruelle que tous les souverains de la Grèce firent aux Troyens
pour une princesse enlevée à son mari ; guerre te r r ib le o ù furent
immolés de part et d’autre un grand nombre de guerriers et de
héros ; guerre à laquelle tous les dieux de l’Olympe prirent une
part très-active. L ’illusion que produisaient en nous les écrits du
prince des poëtes, nous était trop chère pour chercher à la détruire
par des réflexions peut-être judicieuses.
Nous avions tant de plaisir à mesurer l’étendue du camp des
Grecs, à voir le lieu de leur débarquement, à suivre les rives du
Simoïs et du Scamandre, témoins de tant d’exploits ; à chercher
la colline des figuiers, objet de l’inquiétude d’Andromaque ; à retrouver
les traces d’Ilion et de Pergame, à contempler ces amon-
cellemens de terre sous lesquels reposent les cendres des héros grecs
et troyens : nous avions tant de plaisir, dis-je, que nous aurions
peut-être dans ce moment fermé l ’oreille à celui qui eût voulu nous
persuader que rien en ces lieux ne présente de l’intérêt et ne retrace
des souvenirs.
- .Mais quelle que soit l’opinion que l ’on adopte sur la guerre de
Troye et l’existence de cette ville, depuis la publication du voyage
intéressant du citoyen Lechevalier dans la Troade, et les applications
lumineuses qu’il fait des passages d ’H omère, il n’est plus
permis de douter que l’auteur de l’Iliade n’eût la connaissance la
plus exacte d’une contrée voisine des. lieux qu’il habitait, et qu’il
ne l’eût même parcourue avant' de tracer le plan de spn: poëme ; et
dans ce cas la Troade et le poëme présentent au voyageur tout
l ’intérêt de Ja vérité. .
- La distance des Dardanelles au premier château d’Asie, Koum-
K a le ssi, est d’environ quatre lieues. De là au cap Sigée, sur
lequel est bâti Y én itch er-k eu i, il y a près de demi-lieue : le terrain
va en s’élevant dans ce dernier espace, et l’on rencontre deux tombeaux
que l’on présume être ceux d’Achille et de Patrocle. La
ville, située derrière le château, à la rive gauche du Simoïs, sur
un terrain sabloneux en plaine, n’est pas si étendue ni si peuplée
que les Dardanelles. L ’air n’y est pas non, plus si sain, à cause
des marécages qui sont à la rive opposée du fleuve, et dont les
•exhalaisons putrides, en é té , sont portées sur la ville par le vent
de nord-nord-est, qui souffle sans interruption pendant cette saison.
Ceux que l’on voit dans la plaine, au sud de la ville, contribuent
aussi à occasioner des fièvres intermittentes et des rémittentes
putrides, vers la fin de l ’é té , lorsque le yent revient au sud. Les
premiers, anciennement connus sous le nom de-Talus-stoma ou
Stoma-limné, sont entretenus par les eaux de la mer; les seconds
sont produits par les eaux du Scamandre, qui se répandent sur les
terres basses qui l’environnent.
Au-delà des premiers marécages on trouve une petite anse, que
■l’on croit être le port où abordèrent les Grecs qui vinrent.au siège
de Troyë : les Turcs la nomment Karamlik-limani.
Le Thymbrius prend sa source au nord-ouest du mont Ida, traverse
une plaine fertile, presque toute cultivée, et vient se jeter
dans le Simoïs, à peu de distance de la mer. Si on remonte ce
ruisseau, dont la direction est de l’est à l ’ouest, après une heure
de marche, on trouve, à quelque distance de sa rive gauche ; le
lieu que Constantin avait d’abord choisi pour en faire la capitale
de l’Empire d’Orient. Si on marche encore une bonne demi-heure,
on voit sur la rive droite un petit village nommé H a lé li-k eu i, et
tout près de l à , vers le nord-est, les ruines d’un temple que l ’on
suppose avoir été celui d’Apollon Thymbréen. A une petite lieue
plus loin, en suivant toujours le ruisseau, on trouve Thumbrek-
keu i, village bâti probablement sur les ruines de Thymbra, ville
située jadis à peu de distance de Dardanus, dont elle dépendait.
C’est dans la plaine de Thymbra,, aux environs du temple
d’Apollon , qu’Achille reçut , selon quelques auteurs , le trait
fatal que Pâris lui lança : Apollon lui-même; selon eu x , avait
dirigé le trait , pour venger la mort d’Hector et celle d’un