Le lazaret, que nous ayons parcouru dans un teins où l’on
n’avait aucune inquiétude au sujet de la peste , est renfermé dans
un vaste enclos , vers le bord de la mer;, au nord de la ville. On
y entre par un chemin ombragé d’une treille et marqueté de
cailloux diversement colorés. On y voit plusieurs corps - de - logis
séparés les uns des autres, destinés, les uns aux malades, et les
autres aux convalfescens.
Lorsque la peste est dans la ville, les intendans font alternativement
leur ronde; ils mettent des gardes aux maisons infestées ,
pour empêcher toute communication : ils placent auprès des malades
en état de fournir à la dépense , des personnes capables de
les soigner ; et si le pestiféré est pauvre et dépourvu de secours,
ils le font conduire au lazaret avec tous les effets qui lui appartiennent,
susceptibles d’être parfumés et purifiés.
Malgré les précautions que prennent les Grecs et même les
Turcs indigènes pour se garantir de cette maladie^le grand abord
des Turcs étrangers auquel on ne peut s’opposer, l’arrivée fréquente
des bâtimens de guerre , et peut - être aussi la négligence qu’on
met à visiter les bateaux qui apportent journellement des comestibles
de l’A s ie , dont l ’île ne peut se passer, sont autant de causes
qui font que la pesté s’introduit quelquefois chez eux. Celle de 1788 ,
qui fit périr en peu de tems quatorze mille personnes, sera long-
tems citée comme une des époques les plus calamiteuses de l’histoire
de ce pays," ■
Ces intendans ont aussi l’inspection de l’hôpital des lépreux, situé
dans un vallon étroit, à quelque distance nord - nord - ouest de, la
ville. Chaque malade a un fort petit logement et un très-petit jardin
qu’il est le maître de cultiver. J’ai vu avec regret qu’on regardait
dans le Levant tous les lépreux comme incurables, et qu’en conséquence
on n’administrait'à aucun d’eux les secours capables peut-
être deles guérir. J’invite les médecins européens qui pourront faire
quelque séjour à Scio, de s’occuper de cetjobjet intéressant. Ils trouveront
dans les. intendans , dans les primats et dans les notables de
la ville, toutes les facilités dont ils auront besoin pour les observations
qu’ils voudront faire et les expériences qu’ils voudront tenter.
La
: La tolérance, musulmane, qui laisse aux Sciotes la liberté d’avoir
une police, des tribunaux, des juges particuliers, est encore plus
indulgente à l ’égard de leur religion. Les Grecs, infiniment plus
nombreux, plus riches, plus puissans que les Latins, possèdent
environ sept cents églises dans l’île , calcul qui paraîtra sans doute
exagéré , mais dont l’exactitude m’a été garantie par les personnes
les plus instruites de Scio. Persécutés par leurs adversaires , les
faibles Latins n’en ont plus que quatre aujourd’h u i, une. seule
dans la ville , et trois dans la campagne. Le nombre de prêtres,
comme on peitse bien, est proportionné à cette étonnante quantité
d’églises. Il est extrêmement curieux de leur voir déployer, au
milieu des fanatiques Musulmans, tout l’appareil des cérémonies
religieuses grecques et romaines. Le^processions et les enterremens
attirent une suite innombrable ; les prêtres en surplis, les papas
en étoles, traversent les rues de la v ille , précédés d’une longue
c roix, suivis d’un grand nombre de fidèles le cierge à la main. Le
farouche Musulman les voit passer sans murmurer, pourvu qu’ils
rendent hommage aux mosquées, pourvu qu’ils interrompent leurs
chants à l ’aspect de ce lieu vénéré, qu’ils détachent la croix de son
bâton et la tiennent humblement baissée.
Le privilège d’avoir des cloches à leurs églises n’est accordé
qu’aux habitans des villages du mastic : elles servent à.les appeler
à l ’o f f i c e à la messe, au trav ail, à la récolte du mastic , aux
assemblées communales : elles sont destinées aussi à sonner le tocsin
en cas d’attaque ou d.’incendiè.
Outre les églises latines dont j’ai parié, il y a trois couyens de
religieux sous la protection de la France. Les Capucins se regardent
comme propriétaires de la maison consulaire, qui fait partie
de leur couvent. Les moines avaient décampé long-tems avant
notre arrivée à Soio , et la chapelle était abandonnée depuis, que
le consul ne payait plus le service qu’on y faisait auparavant.
L ’histoire de Scio se perd dans l ’obscurité des tems, et se confond
avec les erreurs-de la fable. D ’abord sous la verge des rois, ensuite
sous l’agitation républicaine, puis sous la tyrannie odieuse des
factions, alternativement indépendans et soumis, jamais peut-être
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