C H A P I T R E X X X I .
Arrivée à Candie : description de. cette ville. Visite au
pacha. Départ. Arrivée à Réthymo. Conduite du pacha.
Arrivée à la Canée : description des environs.
Température. Observations sur les vents. Tremblement
de terre.
I m p a t ie n s de nous rendre dans l’île de Crète et de voir la patrie
de Jupitèr et de Minos, nous nous embarquâmes le 12 thermidor
au soir sur un grand bateau à voiles latines, arrivé depuis quelques
jours au port San-Nicolo. Le capitaine, Musulman de religion,
était né à Tunis. Il fréquentait souvent les îles de l ’Archipel et
jouissait d’une fort bonne réputation. Il avait apporté de la man-
tègue (1) du golfe de Sidre en Afrique, et il allait à Candie faire,
pour l ’É gypte, un chargement de raisins secs, d’amandes, de caroubes,
de racines de réglisse et de miel.
Comme la distance de Santorin à Candie est d’environ trente
lieues, nous aurions préféré de nous embarquer sur un navire
européen, plutôt que de faire ce trajet su/ un bateau du pays :
mais il n’y avait pas de choix à faire. Les navires marchands ne
fréquentent guère le port de Santorin en é té , et dans cette saison
la régularité du vent permet de naviguer, sans crainte et sans
danger, sur de faibles bateaux.
Nous partîmes le soir de Santorin afin d’arriver eh plein jour à
Candie. Nous laissâmes à droite la petite île Christiané, et nous
nous dirigeâmes sans boussole à peu près vers le sud. Le vent de
nord tomba, comme à l’ordinaire, après le coucher du soleil : il
lut faible et variable durant la n u it, et le matin nôus nous trouvâmes
à dix ou douze lieues de Candie, au nord-est de Dia. Comme
(1) La mantègue est un mélange de beurre et de graisse de mouton, dont les
Orientaux font usage dans leurs ragoûts et leurs pâtisseries.
nous étions trop à l ’est et que le vent qui souffla dès les huit heures
du matin fut nord-nord-ouest, nous louvoyâmes une partie de la
journée afin de passer à l ’ouest de Dia ; ce qui fut cause que nous
n’entrâmes que le a 3 au soir dans le port.
Nous fîmes avouer au capitaine, qu’il vaut mieux consulter une
boussole dès qu’on perd la terre de vu e , que les étoiles et le soleil,
qui n’indiquent pas la route avec la même précision. Malgré cet
a v eu , il fit voile pour l’Êgypte quelques jours après, dédaignant
une excellente boussole qu’un marin ragmsais lui offrait à bas prix,
tant l’habitude a d’empire sur un homme ignorant.
La première chaîne du mont Ida, qui s’élève en pyramide au sud-
ouest de Candie, sert au loin de reconnaissance aux navigateurs
qui veulent mouiller dans le port de cette ville. La petite île de
D ia , située à l ’est-nord-est., connue des marins sous le nom de
Standie (1 ), concourt également à guider leur marche : elle,fait
plus ; elle leur offre un asyile dans les trois rades qu’elle a à sa
partie sud. Nous aurons occasion d’en parler ailleurs.
Le port de Candie est défendu du vent de nord par des rochers
sur lesquels on a bâti une forte jetée parallèle à la côte/ il est très-
sûr , et pourrait contenir de trente à quarante navires marchands
s’il était creusé et entretenu. Il ne peut en recevoir aujourd’hui
que huit à d ix , encore faut-il qu’ils soient'allégés ou déchargés;
car il n’y a plus que huit ou neuf pieds d eau dans 1 intérieur du
port, et environ quinze à l ’entrée. Les Turcs, qui jouissent partout
avec l’insouciance d’un locataire ; les Turcs', qui détériorent tout
et ne réparent jamais rien, le laissent combler de jour en jour sans
s’occuper des moyens de le creuser ; ce qui serait cependant très-
facile , le fond étant de sable et de vase.
Il y a en face de la jetée , à gauche en entrant, des arsenaux
qu’on ne songe pas plus à réparer : ils ont été construits par les
Vénitiens en i 552 , à en juger par cette date mise au bas des armes
de la République. Ils ont beaucoup souffert lors du siège de cette
place par les T u r c s , en 1667 , 1668 et 1669 : quelques-uns même
(1) lis rit Am, is tin Dia.