ne tiendraient pas long-tems contre des vaisseaux de guerre qui les
attaqueraient. Leurs canons monstrueux, sans affûts, chargés avec
des boulets de marbre ou de granit, d’environ deux pieds de diamètre,
seraient bientôt abandonnés par des canoniers, qui ne
pourraient ni les diriger, ni les pointer , ni même les charger
avec facilité. »
Ce village, situé au bas d’une colline assez élevée, offre aux
habitans des Dardanelles un paysage très-agréable, presque toujours
embelli par les navires et les bateaux qui sans cesse remontent
l ’Hellespont ou font voile pour l ’Archipel.
Les habitans de ce village sont moins industrieux que ceux,de
Maïta : la plupart d’entr’eux sont des Turcs attachés au service de
la citadelle, ou occupés à passer en bateau les personnes qui se
rendent d’une ville à l’autre. Ce sont les Grecs qui se livrent plus
particulièrement à la culture des terres. J’ai vu pour la première
fois dans leur territoire les ruches enfermées dans des logemens
plus ou moins spacieux, suivant la quantité des abeilles qu’on y
élevait. L ’objet de ce logement en maçonnerie, soigneusement
fermé, est de garantir ces insectes du froid pendant l’hive r, de la
chaleur pendant l ’été, et en tout tems de la main de l’homme, bien
plus dangereuse que l ’intempérie des saisons.
A une lieue du second château d’Europe, en descendant, on
aperçoit sur une hauteur une autre deryischerie habitée par quelques
moines turcs, dont la fonction consiste à signaler les navires
et les vaisseaux de guerre qui entrent dans le canal, et faire flotter
de tems en tems le pavillon othoman. De là au premier château
d’E urope, la côte est inculte et ne présente rien de remarquable ,
si ce n’est un tombeau que l’on croit être celui d’Hécube, placé au
dessus du promontoire Cynossema, et les restes d’un aqueduc qui
apportait probablement l’eau nécessaire aux habitans d'E loe u s, ville
située jadis'à l’entrée de l’Hellespont sur la côte d’Europe.
Sur les ruines d’Elceus on voit aujourd’hui un village turc,
nommé E lb a h a r-K a lessi, au bas duquel est bâti le premier château
d’Europe. A l ’ouest de ce château on voit encore le tombeau
de Protésilas, roi de Thessalie, tué par Hector, et quelques vestiges
du temple que son dévouement lui avait mérité. Protésilas fut le
premier des héros grecs qui mit pied à terre sur la côte d’Asie ;
quoique l’oracle eût annoncé trois fois que celui-là perdrait la vie;
qui le premier descendrait sur le rivage troyen.
De là à Critia, village grec situé au nord dans l ’intérieur des
terres , on doit compter près de deux heures de chemin. On sait
qu’il y avait une ville du même nom dans la Chersonèse de Thrace,
à quelque distance du rivage de la mer, dans le même lieu probablement
qu’est bâti le village moderne. On y arrive par un terrain
inégal et une petite plaine dont la terre est en partie blanchâtre
et crétacée.
Nous n ’avons vu nulle part la perdrix rouge aussi commune que
dans cette plaine et dans les bosquets de pin qui se trouvent aux
environsi Le lièvre y est également abondant et de très-bon goût,
Pendant l’hiver,>on trouve beaucoup de bécasses dans les vallons
incultes, ombragés et humides. Le sanglier n’y est pas rare non
plus : comme celui-ci fait beaucoup de tort aux cultures, et qu’il
est sur-tout friand de raisins, les- Grecs le chassent quelquefois et
en tuent un grand nombre : mais le quadrupède le plus commun
dans toutes ces contrées, c’est le chacal, dont j’aurai souvent occasion
de parler.
Je fus témoin un jou r, aux environs des Dardanelles , de la
manière dont les Grecs chassent les perdrix, moins dans la vue de
se procurer un gibier excellent, que pour diminuer le nombre des
ennemis de leurs récoltes. Cette chasse Consiste à porter un fusil et
une espèce de bannière roulée , bariolée de couleurs très-vives, à
peu près semblable à un habit d’arlequin. Dès qu’on aperçoit de
loin une compagnie de perdrix , on déroule la bannière, et Où
s’approche peu à peu de ces oiseaux, jusqu’à ce qu’on soit parvenu
à la portée du fusil. Le chasseur enfonce dans la terre le bâton de
la bannière, et par une ouverture pratiquée exprès, il tire sur les
perdrix, qui sont tellement épouvantées, qu’elles se tapissent et se
laissent tuer les unes après les autres plutôt que de s’envoler. La
plus grande difficulté qu’éprouve le chasseur, c'est de les apercevoir
; pour cela, il tourne autour d’elles, toujours caché derrière la