Cette scène d’horreur dura une nuit entière. Le bâtiment qui avait
amené ces Mainotes, fit voile le lendemain matin sans que les habi-
tans de l’Argentière , désarmés, pussent faire autre chose que de
déplorer leurs tristes destinées et adresser des voeux au ciel pour
que ces brigands fussent engloutis, avec tout leur butin, par les
flots agités de la mer.
Les Mainotes ou Magnotes sont des Grecs qui habitent la partie
méridionale de la Morée, les environs de Sparte, et plus particulièrement
la partie qui s’étend depuis Misitre jusqu’au cap Matapan.
Faibles restes des Lacédétnoniens, ils sont aussi ardens que leurs
ancêtres à défendre leur liberté et maintenir leur indépendance.
Les Turcs ont obtenu quelquefois un léger tribut de leur pa rt, sans
avoir jamais pu les soumettre entièrement. Cultivateurs ou pasteurs
, marins ou pirates, suivant les besoins et les circonstances,
ils sont toujours prêts à quitter les petites villes qu’ils occupent sur
les golfes de Coroti et de Colokythia, pour s’enfoncer dans l’intérieur
des terres et s’établir sur les montagnes.
Avec cette énergie et cet amour de la liberté, on regrette de voir
parmi eux des brigands qui, non contens de faire la guerre aux
Turcs qui les ont injustement dépossédés d’une partie de leur territoire
, vont encore quelquefois piller les malheureux Grecs des petites
îles de l’A rchipel, qu’un même intérêt et une même religion
devraient bien' plutôt réunir contre leurs ennemis communs.
L ’Argentière, anciennement connue sous le nom de Cimoüs, a
reçu le nom qu’elle porte aujourd’hui sur nos cartes, d ’une mine
d’argent que l ’on dit avoir été exploitée pendant long-tems avec
succès. Dans l ’intention de satisfaire notre curiosité à cet égard,
nous questionâmes l’agent de la République, les primats et quelques
habitans. Tous nous répondirent qu’ils en avaient effectivement
entendu parler aux vieillards, mais que la foudre qui était tombée
dessus, n’en avait plus laissé de traces. Les recherches que nous
avons faites à ce sujet, pendant notre séjour dans l ’île , ont été infructueuses
: nous' n’ avons rien vu qui eût la moindre apparence de
mine ; de sorte que nous douterions de son existence si la réponse
mal-adroite des habitans ne nous avait paru dictée seulement par
l ’intérêt qu’ils ont de la cacher aux Turcs, qui seraient tentés peut-
être de l ’exploiter s’ils en avaient connaissance ; ce qui les attirerait
dans l’île , et serait une cause perpétuelle de vexations.
L ’histoire de cette île se confond avec celle de Milo, dont elle a
toujours suivi le sort, et dont elle est d’ailleurs très-voisine. Elle
n’a guère au-delà de dix-huit milles de tour et de deux cents ames
de population. Ar id e , montagneuse et volcanique, on ne voit ni
plaines ni vallons ni terres arrosées dans toute son étendue, rien
en un mot qui puisse en rendre le séjour un peu agréable aux habitans.
Quelques vignes éparses, fort peu d’oliviers et de mûriers,
beaucoup de terres incultes, très-peu qui soient propres à la culture
de l’orge, du froment et du coton : voilà ce, que l ’Argentière
présente d’abord à l’oeil du voyageur; mais la trace des feux souterrains
qui ont agi sur elle, tantôt avec lenteur, tantôt d une manière
violente, méritent sans doute de fixer quelques instans l ’attention
du naturaliste.
La ville est située sur une roche de porphyre rouge, très-peu
altéré par l’action du feu. La pâte de ce porphyre est très-dure, et
susceptible encore d’un assez beau poli; mais le feld-spath que l ’on
y voit disséminé en petits points blancs, est en partie décomposé.
On trouve aux environs, d’autres porphyres d’un vert clair et d’un
vert foncé, moins beaux et moins durs que le précédent. A l’ouest
et au sud de la ville, on voit partout d’autres roches de porphyre,
blanches ou rougeâtres , plus ou moins décomposées. Celle qui a
atteint le dernier degré de décomposition, est friable, douce au
toucher, peu pesante : elle se divise bien dans l’eau, et paraît avoir
sur le linge et sur les étoffes les propriétés de la meilleure terre à
foulon. C’est elle que les Anciens ont connue e t désignée sous le
nom de terre àmolée ou terre de Cimolis (1).
(i) Iæ citoyen Viuquelin, membre de l’Institut national, chimiste très-distingué,
à qui j’ai communiqué cette terre, en a fait l’analyse. Il a trouvé sur cent parties :
1, Silice............................ 79 parties. 4- Muriate de soude........ 2 parties.
a. Alumine...................... 5 5. E a u ................ ••••••••• 10
3. C h a u x .............................. 4 T o t a l . ........- ............ 100
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