enfin le gouvernement sur des bases solides, en lui donnant cet
accord, cet ensemble qui lui manquent.
Si l’audace de cet homme eût égalé sa prudence ; si son
eût été aussi active que son génie était fécond ; s’il avait e u , pour
l ’attaque, les talens qu’il a déployés pour la défense, il n’est pas
douteux que le trône de Selim ne fût passé en d’autres mains.
Déjà les janissaires refusaient de marcher : déjà l ’immense population
de Constantinople tendait les bras à celui qu’elle regardait
comme son libérateur, comme le défenseur de ses droits : la plupart
des grands étaient dévoués à ses intérêts, et le peuple, comme
on sait, toujours séduit par les prestiges qui environnent le grand-
homme , seconde sans examen ses projets, et favorise sans mét
fiance toutes ses entreprises.
Pasvan hésita sur le parti qu’il avait à prendre : les obstacles
qu’il envisageait lui parurent trop grands peut-être 5 il douta du
succès ÿ il résolut d’attendre dans Vidine toutes les forces qu’on
voudrait employer contre lu i, persuadé que le soldasse rangerait
sous ses drapeaux, ou trouverait la mort au pied des murs et dans
les marécages dont la ville est entourée.
Cependant la Porte , qui ne pouvait plus se dissimuler combien
ce rebelle, soutenu de l ’opinion publique , était dangereux, donna
ordre à divers pachas de la Turquie européène, de réunir toutes
les forces qu’ils avaient à leur disposition, pour aller le combattre,
le forcer jusque dans ses derniers retranchemens, s’emparer de sa
personne, lui trancher la tête et l ’envoyer à Constantinople. Elle
ordonna en même tems à Allo , pacha ou beyler-bey de Cutayé ,
guerrier distingué, de venir combattre Pasvan avec toutes les
forces de sa province. Les places frontières de l’Allemagne furent
approvisionnées, et confiées à des pachas ou à des gouverneurs
sur la fidélité et la bravoure desquels on crut pouvoir compter.
Ces divers corps de troupes, au nombre de quarante ou de
Cinquante mille hommes, s’avancèrent des provinces qu’occupaient
les généraux de Pasvan : ils obtinrent d’abord quelques avantages,
Celui entr’autres d’entourer la division que commandait Sérek-
fchol-Oglou, de l ’obliger d'entrer dans Varna , de la tailler en -
pièces, et d’envoyer à la Porte la tête du général et de ses principaux
officiers.
Ce succès, peu important, fut aussitôt réparé par ceux que les
autres généraux obtinrent de toutes parts sur les pachas réunis.
Belgrade, ce boulevard de l’Empire, était menacée ; Orsova,
Silistrie, Kersova, presque toutes les villes situées sur le Danube,
furent bientôt au pouvoir de Pasvan, qui , du sein de Vidine,
d’où il n’est jamais sorti, dirigeait la marche de ses guerriers, et
fixait presque toujours la victoire sous ses drapeaux.
Ce qui sans doute est bien digne de remarque, c’est que l’armée
de Pasvan n’était point affaiblie par les différens combats qu’elle
livrait : le nombre des soldats grossissait suivant ses besoins, tandis
que celle des pachas s’affaiblissait encore plus par la désertion que
par le fer de l’ennemi. Le janissaire, ainsi que je l’ai dit plus h au t,
regardait la cause de Pasvan comme la sienne propre , et l’armée
de celui-ci, en faveur de laquelle la victoire se déclarait, mieux
nourrie et plus régulièrement payée, attirait chaque jour à elle un
grand nombre de mécontens.
Le prince de Valachie, contraint de payer une forte contribution
en argent, et de fournir des vivres et des munitions ,de guerre à
Pasvan ,■ encourut la disgrâce de Selim. Il fut déposé, rappelé à
Constantinople, et remplacé par Khangerli, drogman du capitan-
pacha , homme adroit, intriguant, dévoré d’ ambition, fortement
soupçonné de favoriser en secret les projets des ennemis naturels
de l ’Empire othoman, et de tendre la main à leur or corrupteur.
L a Porte ne s’attendait pas sans doute que Pasvan, livré à ses
propres forces, fût en état d’opposer une armée capable de résister
à celle des pachas réunis. Elle ne croyait pas surtout qu’il eût à
sa disposition l’or qui lui était nécessaire pour l’entretenir. Elle fut
vivement alarmée de ses succès , et très-inquiète sur le sort de
Belgrade, dont le rebelle paraissait vouloir s’emparer. Elle craignait
également qu’il ne traversât le mont Hæmus, et ne vînt s’établir à
Andrinoplë , d’où il aurait inquiété la capitale. Elle prit la résolution
de déployer contre lui des forces très-considérables , afin
de finir promptement une guerre fâcheuse qui menaçait l’Empire