elle peut être sans cesse entretenue par les communications com*
merciales.
La Turquie ne fournissant point de marchandises à la Perse ,
cette maladie ne peut y être transmise que par les voyageurs ; mais
comme le germe de cette maladie se développe bientôt chez les
personnes qui l’ont reçu , elles seraient atteintes avant d’avoir
fr anclii un intervalle un peu considérable. Il en est de même de
Bagdat et de Bassora : l’intérieur de la Turquie fournit très-peu
d’objets de commerce à ces deux villes : on y porte quelques étoffes
de soie de Damas et d’Alep , quelques draps d’Europe , fort peu
de sucre, de cochenille et d’indigo , mais beaucoup de vieux cuivre
qui passe dans l ’Inde, et les métaux, comme on sait, ne sont guère
susceptibles de conserver et de transmettre les germes de la peste.
- Ce qui contribue heureusement à retarder les progrès de cette
maladie dans le L evan t, c’est que les Turcs sont dans l ’usage de
fréter de préférence les navires européens pour le transport de
leurs marchandises y et nos marins connaissent trop les dangers
qu’ils ont à courir, pour ne pas prendre toutes les précautions que
la prudence exige. D’ailleurs, les spéculations commerciales sont
presque toujours suspendues ou ralenties dans .une ville fortement
affligée de ce fléau.
Les pelleteries dont les Turcs font un très-grand usage, contribuent
le plus à la communication de la peste, soit parce que la
fourrure dans laquelle un homme est mo r t, sert à vêtir ou à parer
son plus proche parent, soit parce qu’elle est sur le champ exposée
en vente y et que les acheteurs accourent de toutes parts. Il èst
d’ailleurs prouvé que cette marchandise est la plus susceptible de
transmettre! la peste , et c ’est ordinairement de Constantinople que
toutes les caisses de pelleteries partent pour les différentes Échelles.
Les négocians d’A lexandrie ont remarqué que c ’est par cette voie
et par . les malades qui sont quelquefois à bord des vaisseaux turcs
venant de Constantinople , que cette maladie se manifeste dans leur
ville. Ilest rare qu’elle y vienne de la;Syrie, parce que les denrées
que cette contrée fournit à l’Égypte par les navires européens ,
telles que le tabac et la soie, sont peu susceptibles de la transmettre.
Smyrne la reçoit ordinairement de Constantinople , et quelquefois
d’Alexandrie et de Salonique , par les marchandises qui y sont
apportées et par les malades qui y sont débarqués. La plupart des
îles de l’Archipel s’en garantissent en ne permettant pas l ’abord des
navires venant d’une ville infestée. Puisse un jour leur exemple
éclairer les Turcs, et leur faire sentir que l’homme peut, jusqu’à un
certain po int, éloigner et retarder les calamités qui l’a ffligent, et
que la peste ne fait des ravages chez eu x , que parce qu’ils négligent
de prendre contr’elle les précautions que l’on prend en Europe !
Le coton et la laine sont réputés, après les pelleteries, les objets,
les plus susceptibles de transmettre cette maladie : on redoute infiniment
le papier , et on ne le reçoit qu’avec une grande circonspection.
En général les corps raboteux s’emparent bien plus facilement
du venin, et le conser vent bien plus long-tems que les corps
polis. A u moindre soupçon de peste , les négocians ne reçoivent
plus les personnes avec lesquelles ils font des affaires, que dans des
chambres dégarnies de tout meuble en étoffé; ils ferment entièrement
leurs maisons si la maladie fait des progrès alarmans. Dans
les chancelleries des légations, on met une cloison que les étrangers
ne peuvent franchir, et l’on n’y reçoit aucun papier qu’il n’ait passé
au parfum , c ’est-à-dire, à la vapeur très-chaude d’une substance
aromatique.
Lorsque les négocians sont enfermés , un pourvoyeur connu
apporte journellement chez eux les substances alimentaires qu’on
lui demande, et les dépose dans un grand baquet rempli d’eau ,
placé à l’entrée de la maison. Le pain seul est excepté : le besoin
sans doute a fait établir l’opinion qu’il n’est susceptible de transmettre
le venin de la peste que lorsqu’il est chaud, et qu’il n’y a
rien à craindre de le recevoir froid. C’est au moyen de ces précautions
, toutes incomplètes qu’elles sont, que les Européens se .garantissent
toujours de cette terrible maladie ; mais il est nécessaire
qu’ils exercent une vigilance active et sévère à l ’égard des domestiques
, qu’ils les empêchent de sprtir furtivement ou d’introduire
quelqu’étrange.r dans la maison.
J ’ai observé, pendant le séjour que j’ai fait dans le Levant, que