Les forteresses sont entretenues par les pachas sur le territoire
desquels elles se trouvent, aussi,sont-elles presque toutes en mauvais
état : la plupart même tombent en ruine. Le grand-seigneur,
à cet égard, est facilement trompé, parce qu’il reçoit annuellement
un compte de dépenses qui lui en impose : et si le soupçon d’infi,-
• délité ou les plaintes le portaient à envoyer quelqu’un sur les lieux
pour en faire la vérification , une somme d’argent donnée par le
pacha serait presque toujours suffisante pour obtenir un rapport
favorable; mais c e lu i- c i, fu t - il dépossédé, eût-il même la tête
tranchée , le successeur ne mettrait pas pour cela la forteresse en
.meilleur état ; il ferait d’abord quelques réparations peu importantes
, et les interromprait aussitôt qu’il aurait pris les moyens
propres à assurer son impunité.
Toute la monnaie de la Turquie, si nous en exceptons le Caire,
se frappe à Constantinople, et donne pour le moment un revenu
considérable au grand-seigneur; , parce qu’il l ’a , altérée, au point
qu’elle n’a pas la moitié de la valeur de celle des sultans ses prédécesseurs
, et qu’il la fait circuler pour une- valeur, égale à celle
qu’elle avait auparavant. Les monnaies étrangères ont, à la vérité,
beaucoup augmenté; mais elles ne sont pas encore au taux où elles
doivent arriver, parce que la balance du commerce -est à l’avantage
de cet Empire. Il n’en est pas de même de l ’Inde comme je le
dirai ailleurs , où la Turquie n’a presque rien à fournir. On n’y
reçoit que la vieille m onnaie, encore préfère-t-on celles de V enise,
de Hongrie , d’Espagne , comme plus, pures.
D ’après une évaluation approximative , on peut porter à deux
cents millions de nos livres tout Targent versé annuellement à
iConstantinople des différentes villes et des différentes provinces de
l ’Empire. Il paraît que le revenu de la Porte et du grand-seigneur (i),
y «compris le produit' de la fabrication de la monnaie, est dfenviron
cent cinquante millions de nos livres (a); : lesprésëns donnés aux
hommésen place ,-les honoraires des hommes d’affaires, le revenu
(1) On distingue le revenu .dej l’Etat de celui du s'ultan>
(2) Nous donnerons quelques détails à. ce sujet dans le cours de ce voyage*.
des mosquées., les apanages des grands, tout cela n’excède pas
cinquante millions. Ce calcul nous donne plus de trois cents livres
par an pour l’entretien de chaque individu ; ce qui est bien suffisant.
J’observe que l ’industrie de Constantinople se borne presque
entièrement aux besoins des habitans, et que le principal commerce
qui s’y fait, n’est relatif qu’à ht consommation de la ville. Le commerce
de transit est trop peu considérable pour faire venir du dehors
une somme d’argent un peu forte.
On voit, par ce que nous venons de dire, que cette vme ne doit,
dans ce moment, sa grande population qu’à la présence du souverain,
aux dépenses de son palais et à tous lès établissemens
publics qui s’y trouvent. Mais si Constantinople profitait en même
tems des avantages que lui donne son heureuse position entre la
Mer-Noire et la Méditerranée, entre l’Europe et l’Asie ; si elle tirait
parti de l’étendue, de la sûreté et de la commodité de son port si
convenable pour favoriser un grand commerce ; si l ’industrie prenait
une plus grande activité ; si les objets de l’art étaient répandus
dans tout l ’Empire et même au - delà ; si les habitans cherchaient
dans la culture des terres les subsistances qui leur manquent et
l’aliment d’une partie des manufactures; enfin, s’ils parvenaient à.
faire cesser la peste, ce fléau le plus destructeur de l ’espèce humaine,
il n’est pas douteux que cette ville ne devînt bientôt d’une étendue
immense et d’une population peut-être trop considérable.
Les plus riches particuliers de l’Empire, ne viennent point ici
consommer leurs revenus dans la mollesse et dans l ’oisiveté , ou
dissiper leurs fortunes dans les hasards du je u , dans les plaisirs de
l ’amour , dans le luxe de la table. Les agas ou seigneurs restent
dans leurs terres pour les conserver, les défendre et les faire valoir.
Les pachas ne peuvent quitter leur gouvernement sans un ordre'
du souverain. Les mollas ; les cadis exercent la justice dans les villes
où ils ont reçu ordre de se rendre : les uns et les autres ne viennent
intriguer à Constantinople que quand ils sont dépossédés.
Le plus souvent même fuient-ils les regards trop sévères du gouvernement
: ils ont des procurçurs-fondés , des hommes d’affaires
qui intriguent pour eux , qui les disculpent avec de l ’a rg en t, qui