On distinguait assez mal les traces du chemin, tant le sol est
scabreux et uniforme : nos mulets avaient de la peine à. s’y cramponner.
Il est curieux de voir ces animaux se tirer des plus mauvais
pas sans jamais broncher. Tantôt presque droits sur leur croupe,
ils s’élancent sur des rochers élevés, presque perpendiculaires, et
tantôt ils descendent des pentes rapides , si ce n’est avec la même
prestesse, du moins avec beaucoup de précision. Le seul danger
qu’on ait à courir, en sé servant de ces animaux, vient moins de
leur part que de leurs conducteurs. Ceux - c i , accoutumés à les
piquer avec un aiguillon dont leur bâton est armé, ne peuvent se
présenter d’un côté sans que l ’animal, effrayé, ne veuille s’élancer
de l ’autre. Quelle que soit la position dans laquelle on se trouve ,
ces conducteurs sont si peu attentifs, | si peu prévoyans, que,
piquant souvent leurs mulets mal à propos, ils sont cause qu’ils
se cabrent sur les bords des précipices que l ’on a sous les pieds,
èt causent au cavalier une frayeur encore plus grande que n’est le
danger.
1 Nous avancions à travers l ’amoncellement de ces roches : nous
avions à notre droite le port dont nous mesurions bien l ’étendue;
au-delà, le villa'ge de Castro ou de Sifours perché au sommet
d’une colline élevée, pyramidale. Devant nous, le mont Saint-Élie
se montrait presqu’éntier à nos yeux (î). Nous traversâmes encore
un. banc de laves très-dures, très - pesantes, d’un gris noirâtre,
après lequel nous nous trouvâmes sur un sol terreux d’où nous
découvrîmes le monastère où nous avions résolu de passer la nuit.
A un quart de lieue du monastère, nous vîmes exploiter du
beau gypse dans une couche de terre profonde, mélangée de
cendres volcaniques, de fragmerts de pierre-ponce et de pouzolane.
Cette couche terreuse s’étendait à une grande distance, et laissait
vo ir , à plusieurs endroits, des excavations d’où on avait pareillement
extrait la pierre à plâtre à des époques différentes.
Les religieux nous reçurent très-bien et nous traitèrent de leur
(j) Il est beaucoup plus k l’ouest cpi’il n’est marqué sur la carte de M. de
ChoiseuL
mieux. Nous bûmes chez eux une eau très-bonne, un vin excel-.
lent ; et quoiqu’ils fassent toute l’aimée mauvaise chère et qu’ils
ne se nourrissent ordinairement que de fromage, d’olives, d’escargots
, de légumes et de fruits, nous y trouvâmes des volailles,
des oeufs, des herbages, dû miel délicieux : on nous servit en
même tems des oranges, des abricots, des prunes et du raisin. On
peut manger chez eux de l’excellent mouton, des agneaux, des
chevreaux. Le lait y est fort b on , le gibier abondant, e t, ce qui
vaut bien mieux sans doute, l’a ir, à cette partie de l’île , est très-
pur et très-sain. La figure vermeille de tous les caloyers montrait
assez que les exhalaisons malfaisantes de la plaine ne pouvaient
les atteindre.
Le lendemain; au lever du soleil, nous fumes nous.promener
avec le supérieur autour du monastère. Nous vimes passer quelques
boeufs que l’on menait paître sur le chaume. Un troupeau de
moutons allait brouter sur les montagnes d’alentour , et l’on
Conduisait en même tems, dans les bois voisins, une assez grande
quantité de chèvres. Les orges et les blés étaient coupes depuis
long-tems : une partie était déjà foülee et renfermée ; 1 autre ,
ne pouvait tarder de l ’être. Nous parcourûmes quelques vignes ,
quelques vergers d’oliviers et quelques champs couverts de coton.
Le raisin commençait à noircir , les oliviers paraissaient chargés
de fruits, et le coton faisait espérer une bonne récolte.
En nous -éloignant des champs cultivés, nous retrouvâmes
partout des productions volcaniques , et à peu près les mêmes
végétaux que nous avions vus dans les autres îles : la pimprenelle
épineuse, des thyms, des serpolets, des sarriètes, des cistes, des
arbousiers, des myrtes, des lentisques. Nous prîmes quelques
graines et quelques coquilles terrestres, après quoi nous revînmes
aù logis. Le supérieur nous fit entrer dans le jardin : quelques
religieux s’y étaient rendus dès la pointe du jour afin de 1 arroser :
il était vaste et assez bien entretenu : une partie était plantée
d’orangers, de cédrats, de citronniers, de figuiers et de plusieurs
autres arbres fruitiers ; l’autre partie était destinée au jardinage.
Il était tems de déjeûner et de partir. On nous servit un chevreau