méritaient pourtant quelques ménagemens. Un soulèvement de
leur part aurait fait echouer des projets sagement conçus : il était
prudent de les payer et de s’en servir, jusqu’à ce que les nouvelles
troupes fussent organisées. Quant à ceux des provinces, disséminés
dans les villes et les campagnes, ils ne pouvaient offrir qu’une
résistance facile a vaincre ; cependant, afin de n’indisposer ni les
uns ni les autres, on résolut de n’attaquer d’abord que les yamags :
c est ainsi qu’on nomme sur la frontière de l ’Allemagne, les nouveaux
venus ou les nouvelles compagnies formées pour la garnison
des villes et le service des forteresses, dans les pays nouvellement
Conquis.
* Belgrade fut en conséquence la première ville où l ’on essaya
d’abolir le Corps formidable des janissaires ; mais les yamags se
révoltèrent, prirent les armes et menacèrent les jours du pacha.
Celui-ci parvint à gagner les chefs, -et à dissiper une troupe trop
mal organisée pour lui résister Jong-teins. On en vint successivement
aux autres villes frontières de l’Allemagne : partout on
éprouva la même résistance, mais partout l ’autorité triompha. Les
yamags furent plus heureux à Vidine; Pasvan-Oglou, en sa qualité
d’ayam, qu’il avait obtenue depuis peu, marcha à leur tête contre
le pacha, le tailla en pièces et l’obligea d’abandonner la ville.
Ces premiers succès donnèrent mie grande idée des talens militaires
de Pas van, et le firent regarder comme un homme, entièrement
dévoué aux intérêts du peuple. Il n’eut pas beaucoup de
peine d entramer tous les habitans de Vidine dans son parti, et
d attirer à lui un grand nombre de mécontens, en les flattant,
non-seulement d’empêcher les réformes que la Porte voulait faire,
mais en s opposant à la perception du nouvel impôt sur les comestibles,
la laine, le coton, etc. que Selim venait d’établir^ et dont
il avait affecté, comme je l ’ai dit plus haut, les produits aux dépenses
que nécessitaient les nouveaux corps de troupes de cano-
miers, de bombardiers, d’artilleurs, dont on venait d’augmenter
le nombre.
Ce qui devait nécessairement irriter le peuple , c’était de voir
le pacha devenu muhassil ou fermier du nouvel impôt pour sa
province, moyennant une somme assez considérable qu’il s’était
obligé de faire passer annuellement à la P o r te , tandis qu’avant
l ’établissement de cet impôt, non-seuletnent la Porte ne retirait
rien de Vidine, mais elle envoyait l’argent nécessaire à la solde
des yamags et à l’entretien des fortifications.
Les revenus de Vidine ne pouvant suffire au paiement de l’armée ,
qui grossissait chaque jo u r , Pasvan envoya des détachemens dans
les provinces voisines, s’empara de l’argent du fisc, préleva les
impôts, somma les princes de Valachie et de Moldavie de lui faire
passer des vivres, des munitions et une somme d’argent assez considérable
, sous peine d’envahir leur pays. Ceux-ci s’adressèrent à
la Porte, qui, selon son usage de temporiser et d’attendre les
circonstances, leur fit dire sous main de céder pour le moment à
la force.
Les Grecs forment la majeure partie de la population de la T u r quie
européène : il importait à Pasvan de les attirer à son parti ,
en se conciliant leur estime et en leur inspirant la plus grande
confiance. Il mit pour cela en vigueur les ordonnances de Soliman I ,
altérées ou changées par les sultans' ses successeurs ; il leur fit
espérer d’adoucir leur so r t, leur promit le libre exercice de leur
culte et l ’abolition de eette distinction infamante de rayas : il prit
en même tems pour devise : lib erté e t ju s tic e , mots magiques ,
capables d’électriser les hommes les plus apathiques, et porter au
dévouement et à l’enthousiasme un peuple qui gémit sous la plus
cruelle tyrannie.
L a conduite de Pasvan devait nécessairement produire l’effet
qu’il en attendait. Dans tout l ’Empire , les janissaires ne voyaient
en lui qu'un homme armé pour défendre leurs intérêts, et s’opposer
aux entreprises du sultan et de son conseil : les Grecs le regardaient
comme leur prochain libérateur : tous faisaient des
voeux pour le succès de ses armes, et cependant la Porte balançait
sur le parti qu’elle avait à prendre. Le divan s’assembla plusieurs
fois pour cet objet, sans rien conclure : quelques membres, parmi
lesquels on distinguait le capitan-pacha, étaient d’avis d’opposer
à Pasvan une force capable d’arrêter ses progrès, punir son audace,
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