C H A P I T R E V .
Des caïques. Du capitan pacha. De la marine turque.
Des galiondgis. Avantages du port de Constantinople.
u n spectacle vraiment beau , et qu’on ne peut trop se lasser
d’admirer du palais de France et de tous les points élevés d’où la
vue plonge dans le port et sur la mer de Marmara, c’est l’arrivée
et le départ des navires" et des gros bateaux qui entrent et sortent
à pleines voiles, et le mouvement continu d’un grand nombre de
caïques montés ordinairement de deux ou trois rameurs , traversant
sans cesse le port dans tous les sens , et se portant avec célérité
dans tous les villages du Bosphore , à Scutari, aux îles des
Princes et partout aux environs. Ces caïques , ainsi nommés dans
le pays , sont des bateaux longs , étroits , extrêmement légers ,
armés d’une, de deux ou de trois paires de rames, rarement de
quatre. Ils portent une ou deux et même trois voiles, qu’on met
seulement lors du beau tems ou lorsque le vent n’est pas trop fort.
Ces bateaux ne sont point lestés , et sont si légers , qu’un vent un
peu fort les ferait chavirer si le batelier n’avait l’attention de
lâcher l’écoute au moindre danger, et de venir promptement au
vent par un coup de gouvernail. Le nombre de çes caïques est
si considérable , et ils fendent l ’eau avec une telle vitesse, que
quelquefois toute l’adresse des rameurs ne peut empêcher qu’ils ne
Se heurtent, et que l’un des deux ne soit culbuté , surtout lorsque
le tems est mauvais ; car alors ces rameurs ne jugent pas assez bien
l ’effet du vent sur un engin aussi lég e r , et qui présente beaucoup
de surface hors de l’eau. Dans ces cas , il est bon de savoir nager
et de pouvoir gagner le rivage : on porte rarement du secours à
ceux à qui un pareil malheur arrive, parce qu’il y aurait trop de
dangers pour celui qui voudrait sauver un de ces malheureux ; il
courrait le risque de chavirer lui-même en voulant le faire entrer
dans son bateau,
La construction de ces caïques ne laisse rien à desirer pour l’élégance
de leur forme et la vitesse de leur marche. Deux heure*
suffisent pour aller à la voile, avec un petit vent, de Constantinople
aux îles des Princes , distantes de dix à douze milles j et malgré le
vent et le courant contraires , trois rameurs ne restent pas davantage
pour se rendre à Buyuk-déré , distant de quinze milles.
Les caïques du sultan se font remarquer parleur grandeur, leur
dorure, leur élégance, le nombre et la dextérité des rameurs : ils
portent quatorze pairot de rames, et sont montés de vingt-huit
bostangis vêtus de blanc : le bostangi-bachi, comme nous l’avons
/ dit plus haut, tient le gouvernail. Le caïque du grand-visir a douze
paires de rames j celui des principaux officiers de la Porte et des
ambassadeurs des puissances étrangères en ont sept paires. Il faut
nécessairement ù ces grands caïques un homme ù chaque rame,
tandis que ceux des particuliers sont assez étroits p'our qu’un seul
homme se serve des deux rames à la fois.
Le sultan sort rarement l’hiver en bateau ; mais dans la belle
•saison, il se rend fréquemment aux divers palais qu’il a sur le canal
de la Mer-Noire , ou à celui des eaux douces , situé à deux lieues
de la ville, dans le vallon étroit- qu’arrose la petite rivière qui vient
se jeter au fond du p o r t , et dont les eaux tranquilles permettent
aux caïques de la remonter à cette distance. Le canon ne manque
jamais d’annoncer le départ et l’arrivée du sultan : on peut facilement
se procurer le plaisir de voir passer sa hautesse. On distingue
son caïque par une belle tente en cramoisi, élevée du coté de la
poupè. Divers caïques de la même grandeur , où se trouvent ses
principaux officiers , viennent après ; un grand nombre d’autres
le précèdent et le suivent.
Avant d’entrer dans quelques détails au sujet de la marine
turque, nous croyons devoir dire un mot du capitan-pacha , dont
le zèle et l ’activité ne se sont jamais ralentis depuis qu’il commande
les forces navales de l’Empire othoman , et qu’il est à la tête de
tous les établissemens maritimes. Il jouit auprès de Selirn, III, d’un
crédit que le tems semble accroître et fortilier. Dans cet âge heureux
où le coeur est encore dans toute sa pureté , et dans le tems