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été mes amis. Teské, qui m’instruisit de cette
circonstance, observa en même temps que je
ne devois en redouter aucune suite fâcheuse ;
car, suivant son expression , M. Moor avoit
révélé ce fait sans en être requis; en effet, on
ne m’en a jamais dit un mot.
Matataro et les interprètes vinrent trois
jours de suite pour nous persuader de changer
notre déclaration concernant M. Moor; et,
vo yan t qu’ils ne pouvoient nous faire départir
de notre résolution, ils renoncèrent à de nouvelles
tentatives sur ce point. Nous n’avons
jamais su si l’on a fait subir quelque altération
à nos dépositions écrites.
Cependant j e craignois tou jou rs que M. Moor
ne se tirât d’affaire par ruse, n ’obtînt avec le
temps la permission de retourner en Europe,
et, comme personne ne pouvoit l ’y contredire,
n’imprimât à notre nom un opprobre ineffaçable.
Cette idée horrible me plongea dans le
désespoir. Ma santé eu fut a ltérée, je tombai
malade. Durant les sept ou dix premiers
jo u r s , aucun médecin ne p a ru t, quoique lés
matelots en eussent demandé un. depuis longtemps.
A la fin pourtant les Japonois. eurent
pitié de n ou s , et l ’on nous envoya un médec
in qui v in t nous visiter tous les jours. Je
faisois si peu de cas de la v ie que je ne lu i
découvris pas ma véritable maladie, et je pris
des médicamens qui m’étoient tou t-à -fa it
contraires. Dans l’épuisement total ou je me
trouvai, je le priai de me saigner; il n ’y consentit
qu’après avoir obtenu l ’approbation du
gouv erneur, et se mit à l ’ouvrage d’une m ain
tremblante, mais il ne put ou ne vou lu t pas
ouvr ir la v e in e , et il n’en fu t plus question.
Quoique je souffrisse beaucoup, mon corps
avoit été si fort endurci au x maux dès ma
tendre jeun e sse , que la nature surmonta le s
mauvais effets des médicamens. Je dois dire
ici à l’honneur du digne gouverneur Arrao
Madsimano-Cami, que regardant le désespoir
comme l’unique cause de ma m aladie, il m’envo
y a Matataro me dire que si le chagrin et la
perte de tout espoir étoient l’origine de mes
m au x, je ne devois pas m’en laisser, totalement
accabler, parce que les Japonois ne vouloient
pas nous faire du tort, ajoutant qu’après î’ar-
r iv é ç du nofiveau gouverneur on nous don-s
rieroit un meilleur logement, et que les deu x
gouverneurs réunis s’efforcçroient O * de nous
faive rendre la liberté. Koumaddjéro l ’interprète
nous rendit ce discours avec tant de
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sensibilité, que les larmes lu i en vinrent aux