qn’il devoit être avec nous, et non avec les
matelots, il nous répondoit ordinairement :
« Je ne suis pas digne de me trouver dans la
« société d’hommes bien nés; c’est déjà beau-
« coup pour m o i, que les matelots veuillent
« me souffrir. » Nous nous efforcions de lu i
persuader le contraire, et nous le menions
dans la chambre; il y restoit plongé dans un
morne silence. Durant les premiers jo u r s ,
depuis notre départ de Chakodade, il venoit
dîn e r, souper et prendre le thé avec nous:
bientôt il cessa de paroître, et ne sortit plus
de sa cabane. Souvent il ne mangeoit rien de
toute la journée, et tout-à-coup il prenoit
trop de nourriture à la fois. Il sembloit vo u loir,
par cette irrégularité de régime, se donn
e r une maladie mortelle.
T e lle fut la conduite de M. Moor jusqu’au
Kamtschatka, où M. Roudakoff, lieutenant
de vaisseau, son ancien camarade, étoit commandant
du port Saint-Pierre et Saint-Paul.
Ce dernier avoit épousé, depuis peu de temps,
une femme jeu n e , jolie et bien élevé e , nièce ,
de M. P é t row sk y , ancien commandant du
Kamtschatka. Il demeuroit dans une maison
spacieuse. Nous projetâmes de loger M. Moor
chez lu i , s’il étoit possible, dans l ’espérance
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qu’une femme aimable et spiriluelle réussiroit
peut-être, à faire disparoître l ’humeur noire qui
le tourmentoit. M. Roudakoff approuva notre
dessein avec jo ie ; mais nous nous étions tons
trompés. N’importe sur quel sujet on v o u lu t
entretenir M. Moor, il n’écoutoit rien et avoit
l ’air inanimé et comme pétrifié. Souvent il se
retiroit dans des lieu x écartés , où il fondoit
en larmes, sanglotoit et maudissoit son destin.
Un jo u r , il causa une si grande frayeu r
a madame Roudakoff, qu’elle craignit de v iv r e
plus long-temps sous un même toit aveu un
homme q u i, par ses fo lie s , pou voit être dangereux.
Nous le plaçâmes donc chez le prêtre,
dans la maison duquel il avoit déjà demeuré.
La religion et les exhortations de ce ministre
eussent pu produire de l ’effet sur son e sprit,
si ce prêtre eût possédé quelques talens oratoires;
par malheur, le père Alexandre n’en
étoit nullement doué. I l savoit, sans hésiter,
lire les livres d’église, et dire la messe, mais
ses discours sur Dieu et sur la religion ne
purent rien opérer sur M. Moor.
Les effets de ce dernier avoient, après la
n ouve lle de notre cap tiv ité , été vendus à
l ’encan, et on lu i remit le produit q u i se
montoit à peu près à h u it mille roubles. Nou s