( 10 )
q u e , dès le début de notre entreprise, le
destin sembloit m’avoir désigné pour victime ,
puisqu’il m’a voit mis hors d’état de les suivre
avec promptitude ; qu’ils ne dévoient donc
pas se sacrifier sans la moindre utilité pour
m o i, étant tous sains et dispos, et pouvant
espérer d’atteindre un bâtiment pour gagner
la Russie. « Je vous suis à cha rg e , ajoutai-je,
« je souffre des tourmens inouis, et tôt ou
« tard vous serez contraints de m’abandonner.»
Prières inu tile s ; ils protestèrent tous que,
tant que je respirerois, aucun d’eu x ne me
délaisseroit ; qu’ils étoient disposés à faire une
pause tous les quarts d’h eu r e , afin que je
pusse me reposer ; que si nous arrivions dans
quelque asyle sûr, ils s’y arrêteroient pendant
deux à trois jou r s , afin que mon pied
11e se fatiguât pas tant. En outre, Makaroff
s’offrit de bon coeur à m’aider pour gravir
les montagnes, si je voulois marcher derrière
lu i , et m’attacher à sa ceinture. Je me
décidai donc à suivre mes compagnons de
cette manière; cependant je ne marehois pas,
j ’étois traîné par les matelots.
A u sommet d’une autre montagne, nous
arrivâmes sur un plateau couvert d’herbe
sèche et de roseaux; nous y prîmes un peu de
repos; puis nous guidant sur les étoiles, nous
continuâmes à marcher au nord. La nuit étoit
calme et sereine. A u loin brilloient des montagnes
couvertes de neige, qui nous restoient
à traverser. La plaine élevée que nous parcourions
étoit séparée des monts voisins par
une gorge d’une profondeur prodigieuse, où
nous ne voulûmes pas nous engager pendant
la n u it, de crainte de ne pouvoir nous en
retirer aisément; ainsi, au lieu de poursuivre
notre route au n ord, nous nous détournâmes
vers l ’ouest, en longeant le précipice, parce
que nous espérions trouve r enfin une issue facile
et commode. En effet, notre embarras ne
dura pas long-temps ; nous découvrîmes une
espèce de d ig u e , qui unissoit les deux monts
séparés par le gouffre, et qui sembloit être
un ouvrage de l ’art ; sa grandeur seule faisoit
vo ir qu’elle ne devoit pas son existence à la
main de l ’homme, et que c’étoit une montagne.
En descendant sur ce point de communication,
nous aperçûmes d eu x cabanes,
d’où sortoit de temps en temps un sifflement
qui ressembloit à celui que l ’on fait entendre
quand on veut prendre des cailles. Nous nous
tapîmes dans l’h e rb e , et nous prêtâmes l ’oreille
pour nous assurer si le bruit venqit