« M o i, me dit-il dans son mauvais langage*
« traduire ce que vous me dites, et écrire
« des lettres courtes ; chez nous, lettre ne
<c peut être longue ; nous, pas aimer les corn-
« pli,nens ; nous> ne nous occuper que de
« l ’a ffaire; chez nous, les Chinois écrire
« comme çâ ; tout-à-fait perdu l ’esprit, y)
Apres cette morale japonoise, je fus obligé
de le laisser faire a sa volonté. Le jou r que
nous arrivâmes à Kounaschir, je le fis venir
dans la chambre, et je lui demandai la lettre.
I l me remit une demi-feuille de papier écrite
tout à l ’en tour. Comme, dans cette langue à
peu près hiéro glyphique , un seul caractère
exprime quelquefois une phrase entière 9
Cette feuille devoit contenir une relation détaillée
de tout ce que ce Japonois avoit jugé
important de communiquer a son gouverne-*'
nement; il pouvoit y avoir par conséquent
beaucoup de choses a notre désavantage; je
dis donc a Leonsaïmo que la lettre me sem—
bloit beaucoup trop longue pour ce que j ’a—
vo is dessein de mander, et qu?il y avoit sans
doute beaucoup ajoute du sien. Je l ’engageai
à m’expliquer cela en russe aussi bien qu’il
le pourroit. Il n’eut pas du tout l’air offensé
de cette demande, et më repondit que cette
feuille contenoit trois lettres : une cou r te ,
relative à notre affaire; une autre, renfermant
la relation du naufrage de« Japonois ; une
troisième, le récit des malheurs qu’il avoit
éprouvés en Russie. Je répliquai qu’il étoit
Urgent d’énvoyer notre lettre à terre; que,
quant aux deux autres, leur expédition pouvo
it être remise à une autre occasion; qu’au
reste, s’il désiroit qu’elles partissent en même
temps que la nôtre , il n’avoit qu’à m’en
donner une copie. A u ssitô t, sans élever la
moindre objection, il copia la lettre courte ,
mais refusa pour les autres, disant qu’elles
étoiënt trop difficiles. — « Comment donc
« sont-elles si difficiles, lu i d is - je , puisque
« tu les as écrites toi-même? » — « J e les
« anéantirai p lu tô t , reprit-il de mauvaise
« humeur.» — En même temps il prend un
canif, coupe la partie du papier sur laquelle
ces deu x écrits se trouvo ien t, la met dans sa
b o u ch e , commence à la mâcher en me lançant
des regards étincelans de malice et de ressentiment;
en quelques secondes il l’eût avalée
en ma présence. Le contenu de ce papier resta
pour nous un secret. C’étoit pourtant à un si
méchant homme que nous étions obligés de
nous fier. Maintenant il m’importoit de saj