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roula plus bas ; nous ne savions ce qu’il étoit
devenu. Il ne répondoit pasà notre v o ix ; nous
n’osions l’appeler bien h a u t, car nous n’étions
pas très-éloignés "d’un village. La nuit étoit
si noire , que l’on ne distinguoit rien à d ix
pas. Nous liâmes donc nos ceintures les uiies
au bout des autres ; Vassilief fu t attaché à
l ’une des extrémités, et nous le descendîmes
dans l ’endroit où M. ChlebnikofFavoit dégringolé
; nous ne lâchions que par degrés cette
corde factice ; il fallut la retirer quand nous
fûmes au bout. Va s silief, en remontant, nous
dit qu’il étoit parvenu à une profondeur assez
considérable, et qu’il n’avoit pu découvrir le
fond de la ravine ; qu’il avoit appelé M. ChlebnikofF,
et né l ’a voit pas entendu répondre.
Alors nous nous déterminâmes à rester pendant
le jo u r dans ce lie u , et à descendre de
nouveau l ’un de nous dans la ra v in e , pour
v o ir si M. ChlebnikofF v iv o it encore. Nous
avions passé deux heures dans cette pénible
incertitude sur le sort de notre compagnon ,
quand nous entendîmes un b ruit dans l ’herbe,
e t , à notre joie inexprimable, nous revîmes
M. ChlebnikofF. I l nous raconta qu’il avoit
roulé à une Certaine profondeur dans l’abîme,
et que s’étant retenu quelques m in u te s , il
avait voulu essayer de remonter; qu’au lieu
de ce la , il avoit glissé de n o u v e au , et étoit
tombé perpendiculairement de vingt pieds
dans un trou au fond duquel il n’y avoit heureusement
pas de pierres ; cependant il s’étoit
fait beaucoup de m a l, et les suites de cette
chute ne sont pas encore passées. Enfin il reprit
ses esprits, et arriva heureusement à l’endroit
où nous l ’attendions. Apres s y etre un
peu r e p o s é ,il continua le voyage avec nous,
quoiqu’il souffrît de grandes douleurs dans
plusieurs parties de son corps.
Aujourd’h u i encore, je ne pense qu’avec
effroi à ces précipices et à ces montagnes h o rribles
, et rien au monde ne me pourroit engager
à les gravir de nouveau , même en plein
jour. En montant, nous n’avions so u v en t,
pour nous retenir au milieu des débris de rochers,
que la ressource de saisir de petits buissons
qui sortoient de quelque crevasse , sans
savoir s’ils n’étoient pas desséches; dans le
cas où ils n’aqroient pu résister à l ’effort
de l’homme qui les empoignoit, ce lu i-c i a u -
roit été précipité à l ’instant au fond de l ’abxme,
et brisé contre les rochers. Quelquefois une
pierre saillante, mais chancelante, nous se r -
voit de point d’appui; heureusement la p ro -