lu i conseillâmes d’acheter des vêtemens et
d’autres objets; il nous assura qu’il n’avoit
besoin ni d’argent ni de rien au monde. Son
habillement consistoit en une v ie ille pelisse
kamtschadale de peau de renne.
Les tournions affreux que sa conscience
lu i faisoit sans doute éprouver l’obligèrent à
m’envoye r un rapport dans lequel il se don-
noit les noms de traître, de misérable, e tc .,
et disoit que tout ce qu’il y avoit de sacré lu i
avoit arraché cette confession. Ce rapport
étoit écrit d’une manière si incohérente, et
renfermoit tant de choses insensées, qu’il
me pa rut bien avéré que M. Moor avoit entièrement
perdu l ’esprit. J’écrivis à mon
malheureux compagnon une lettre de consolation.
Je l ’assurai que sa faute n’étoit pas
aussi grave qu’il se le figurait; que nous
avions la ferme intention d’oublier tout ce
q ui s’étoit passé; qu’il étoit encore jeune et
bien portant, et qu’il pouvoit rencontrerdans
sa vie beaucoup d’occasions d’expier ses erreu
rs, dans lesquelles notre affreuse position
et le désespoir l ’avoient seuls fait tomber;
enfin, que ses services futurs pourraient entièrement
apaiser les cris de sa conscience
q u i le tourmenloient si cruellement.Je priai
M. Roudakoff de lu i remettre ma lettre et de
faire son possible pour le tranquilliser; ensuite
j’allai le vo ir avec M. Ricord. Nous
eûmes recours à tous les artifices imaginables
pour lu i persuader de dissiper son trouble;
enfin nous y réussîmes. Il commença à parler
raisonnablement, me remercia de ma lettre et
m’assura qu’il ne se sentoit pas digne de tant
de bonté. Il parla plus souvent aux officiers ;
il prit une partie de son argent pour acheter
différentes choses et l’employa très-bien.
Quelques jours après, il exprima le désir
d’aller demeurer dans un village kamtschadale,
où il pourrait être plus tranquille; alléguant
qu’à St.-Pierre et St.-Paul il v o y o it trop de
Russes dont la présence luirappe lo it toujours
ses fautes. Nous déférâmes à ce voeu, Croyant
qu’avec le temps M. Moor se rétablirait complètement,
et que ses plaies, continuellement
irritées par les objets qui 1 en tou ro ient, se
guériraient quand il en serait éloigné. A y an t
obtenu le consentement de tous ses compagnons,
il fit les préparatifs de son départ,, et
acheta ce qui lu i étoit nécessaire pour v iv r e
à la campagne. Les gardes qui setenoient autour
de lu i pour sa sûreté, ne se réjouirent
pas ’m oins que nous de la résolution qu’il