Départ pour le Kamtschatka.— M. Ricord y arrive
heureusement.
C e fut le 11 ju ille t 1 8 1 1 , à onze heures du
soir, et dans le onzième mois de l’an n é e , s i ,
conformément à l ’ancien usage russe , on
la commence en septembre, qu’arriva le
triste événement dont il est impossible à ceux
qui ont servi sur la corvette la Diane de
perdre jamais le sou v en ir , et qui rappellera
toujours dans leur esprit des idées pénibles.
L e lecteur sait déjà combien le malheur du
capitaine Golovnin fu t imprévu. Cet accident
affreux nous plongea dans des inquiétudes et
une irrésolution sans pareille; il anéantit l ’espoir
de revoir bientôt notre patrie, dont nous
nous étions flattés en quittant le Kamtschaka
pour aller effectuer la reconnoissance de l ’archipel
des K ourile s; car le sort nous ayant,
par ce coup fatal, enlevé notre chef, objet de
notre estime et de notre amour, ainsi que
nos compagnons avec qui nous servions depuis
cinq ans, personne ne songea plus à re tourner
vers ses parens et ses amis. T o u s , o f-
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officiers et matelots pleins de confiance enDieu,
nous résolûmes unanimement de ne pas q uitter
les côtes du Japon, sans avoir essayé tous les
moyens possibles de délivrer nos compagnons
's’ils v ivo ien t encore, et nous jurâmes de les
venger s’ils avoient été mis à mort ; supposition
douloureuse à laquelle nous nous abandonnions
quelquefois.
Nous avions su iv i, avecnoslunettes, depuis
la corvette jusqu’aux portes de la ville ,M .Go lo
vn in et ceux qui l ’accompagnoient. Nous
les avions vu s conduits jusque-là par une
foule nombreuse , composée en partie d’officiers
japonois, comme nous le firent supposer
leurs vêtemens remarquables par la bigarrure
des couleurs. Bien pénétré de tout ce que
m’avoit prescrit le capitaine, je ne soupçon-
nois nullement les Japonois d’une trahison;
je me fiois tellement à leu r bonne fo i , que je
faisois des préparatifs pour recevo ir, avec un
certain apparat, les hôtes que le capitaine ra-
meneroit avec lui. Sur ces entrefaites, nous
entendîmes tout-à-coup à terre des coups de
fusil et des cris affreux. 11 étoit midi. Nous
aperçûmes un grand nombre d’hommes sortir
de la v ille et courir au canot qui avoit porté
le capitaine à terre. Nous vîmes distinctement
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